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je ne les crois pas pratiques. Il faudrait en traîner un trop grand nombre à la suite des armées. La guerre prend des proportions de plus en plus effrayantes. Le chiffre des combattans, la promptitude des évolutions favorisée par les chemins de fer, la longue portée, la précision, la puissance destructive des armes modernes, tout conspire à rendre, dans l’avenir, les batailles aussi meurtrières qu’elles seront rapides.

Personne ne peut prévoir ce qui se passera à la première collision. Les généraux qui sont appelés à commander les armées n’osent pas eux-mêmes se prononcer à cet égard. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il faut s’attendre à des pertes énormes de part et d’autre. Le service de santé des armées, malgré les efforts qu’il fait depuis vingt ans pour se mettre à même de faire face à cette éventualité, malgré les progrès qu’il a réalisés au matériel comme au personnel, n’est pas sûr de pouvoir suffire à toutes les nécessités du premier moment. Il faudra pourtant bien s’occuper des blessés avant de songer aux morts ; mais en admettant que les deux services puissent marcher parallèlement, combien faudrait-il d’appareils crématoires pour accomplir, dans les délais convenables leur funèbre besogne ? Dans l’impossibilité de calculer ce qu’il y aura de morts sur les champs de bataille de l’avenir, il faut prendre pour base les affaires les plus récentes.

Dans les trois batailles qui se sont livrées autour de Metz les 14, 16 et 18 août 1870, le grand état-major allemand a relevé les pertes suivantes : les Français ont eu 3,790 morts, 19,470 blessés, 10,975 disparus ; les Allemands : 10,847 morts, 28,422 blessés, 1,587 disparus. Après ces fatales journées, l’armée qui est restée maîtresse du champ de bataille et dont les pertes excédaient de plus d’un tiers celles de l’autre, s’est trouvée en face de 62,529 hommes étendus sur trois champs de bataille distans de quelques kilomètres. Il y avait dans le nombre 14,637 morts. Il aurait fallu au minimum 150 crématoires ambulans pour les incinérer dans l’espace de cinq ou six jours, qu’on peut considérer comme l’extrême limite, surtout lorsqu’il s’agit de batailles livrées pendant les chaleurs de l’été, comme celles que nous avons prises pour terme de comparaison.

Ce funèbre convoi, dont l’aspect, pour le dire en passant, n’aurait rien de bien réconfortant pour nos jeunes troupes, occuperait plus d’un kilomètre de voie ferrée et augmenterait, dans une proportion inacceptable, les impedimenta qu’il faut diminuer à tout prix dans les conditions de rapidité où la guerre se fait aujourd’hui. Et puis, où placerait-on ces pesantes voitures ? On ne pourrait évidemment les caser que dans les convois administratifs, et personne