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organisant spontanément une sorte de grève au détriment du commerce britannique ; on sent de plus qu’elle a gardé quelque rancune à son gouvernement ; — au ministère qui a essuyé la bourrasque et au ministère qui s’est l’orme depuis, — de l’humiliation infligée à la fierté nationale. Ces malheureuses circonstances enfin ont été exploitées par les partis extrêmes, par les républicains, peu nombreux en Portugal, mais ardens, qui se sont déchaînés contre le gouvernement, contre la monarchie elle-même en l’accusant d’avoir livré la dignité et les intérêts du pays à l’étranger. Il est certain que l’épreuve était dure, surtout au début du règne d’un jeune souverain qui venait à peine de ceindre la couronne, du roi dom Carlos Ier. Lord Salisbury n’a probablement pas calculé l’effet du coup qu’il allait porter à la sûreté de la monarchie portugaise et à la paix intérieure d’un brave petit peuple. Une autre cause de la situation difficile du Portugal, une cause qui a même précédé le conflit diplomatique avec l’Angleterre, a été la révolution du Brésil. Il y a longtemps, sans doute, que tout lien est rompu entre le Portugal et son ancienne colonie. Les événemens de Rio-de-Janeiro n’ont pas moins retenti sur les bords du Tage. Ils ont réveillé les espérances des républicains portugais, rendu l’audace aux propagandes révolutionnaires, et le désastre des Bragance régnant à Rio-de-Janeiro n’a pas laissé de paraître menaçant pour les Bragance régnant à Lisbonne. C’est dans ces conditions que les élections récentes se sont accomplies, et elles se sont nécessairement ressenties de toutes ces complications.

Au fond, ce n’est pas que le scrutin soit défavorable au ministère de M. Serpa-Pimentel qui s’est formé après l’acceptation de l’ultimatum anglais et qui a voulu consulter le pays. Le Portugal, avec les Açores et les colonies, compte un peu plus de 150 députés, et, parmi les nouveaux élus, le ministère aurait déjà, dit-on, une majorité de près de 100 voix. La lutte cependant paraît avoir été vive dans les principales villes du royaume, à Porto, à Coimbre, à Setubal, à Santarem. Le ressentiment national s’est fait jour par la nomination de quelques hommes comme le major Serpa-Pinto qui s’est récemment signalé dans les démêlés africains, et à Lisbonne particulièrement, trois républicains ont été nommés ; les progressistes qui ont formé jusqu’ici un parti dynastique ont fait cette fois alliance avec les républicains et ont eu, eux aussi, un de leurs candidats élu à Lisbonne, ils ont eu de plus une trentaine de nominations dans les provinces. Que faut-il croire en définitive ? Ces élections, malgré la majorité qu’elles sembleraient assurer au ministère Serpa-Pimentel, n’ont-elles qu’une signification douteuse ? Le gouvernement lui-même a-t-il peu de confiance dans son succès ? Toujours est-il que dès le lendemain, sans attendre la réunion des cortès, il a pris l’initiative et la responsabilité d’une série de mesures qui ne sont pas, si l’on veut, un coup d’état, qui ne ressemblent