Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profite pas ; quand le petit contribuable ne paie rien ou presque rien pour cette œuvre de bienfaisance dont il profite seul ; quand, pour voter la dépense ainsi répartie, chaque contribuable, quel que soit le montant de sa contribution, a une voix et n’a qu’une voix ? En ce cas, pouvoirs, bénéfices, allègemens et dispenses, tous les avantages sont du même côté, du côté des pauvres et demi-pauvres, qui font la majorité, et qui, s’ils ne sont pas retenus d’en haut, abuseront incessamment de leur nombre pour accroître leurs avantages au préjudice croissant de la minorité aisée ou riche. Dès lors, dans la société locale, le contribuable moyen ou gros n’est plus un associé, mais un exploité ; si son choix était libre, il n’y entrerait pas ; il voudrait bien en sortir, s’établir ailleurs ; mais dans les autres, voisines ou lointaines, sa condition ne serait pas meilleure. Il reste donc dans la sienne, présent de corps et absent de cœur ; il n’assiste point aux assemblées délibérantes ; il n’a plus de zèle ; il retire à l’affaire ce surplus d’attention vigilante, de collaboration spontanée et empressée qu’il eût apportée en don gratuit ; il laisse l’affaire aller sans lui, comme elle peut ; il y demeure ce qu’il y est, un corvéable, un taillable à volonté, bref, un sujet passif et qui se résigne. — C’est pourquoi, dans les pays où la démocratie envahissante n’a pas encore aboli ou perverti la notion de l’équité, le statut local applique la règle fondamentale de l’échange équitable ; il pose en principe que celui qui paie commande, et en proportion de ce qu’il paie[1]. En Angleterre, il attribue aux plus imposés un surplus de voix, jusqu’à six voix pour un seul votant ; en Prusse, il divise la contribution locale en trois tiers, et, par suite, les contribuables en trois groupes, le premier, composé des gros contribuables, en petit nombre, et qui paient le premier tiers, le second, composé des moyens contribuables, en nombre moyen, et qui paient le second tiers, le troisième, composé des petits contribuables, en grand nombre, et qui paient le troisième tiers[2].

  1. Une conséquence de ce principe est que les indigens exempts des taxes ou assistés doivent être exclus du vote ; c’est le cas en Prusse et en Angleterre. — Par une autre conséquence du même principe, la loi du 15 mai 1818, en France, convoquait les plus imposés en nombre égal à celui des membres du conseil municipal pour délibérer et voter avec lui toutes les fois qu’une « dépense véritablement urgente » obligeait la commune à s’imposer des centimes additionnels, extraordinaires par-delà ses 0fr. 05 ordinaires. Aussi bien, dit Henrion de Pansey (du Pouvoir municipal, p. 109), « les membres des conseils municipaux appartenant à la classe des petits propriétaires, au moins dans un grand nombre de communes, votaient sans examen des ; charges qui ne devaient peser sur eux que d’une manière insensible. » — Ce dernier asile de la justice distributive a été détruit par la loi du 5 avril 1882.
  2. Max Leclerc, la Vie municipale en Prusse. (Extrait des Annales de l’Ecole libre des sciences politiques, 1889, étude sur la ville de Bonn.) A Bonn, qui a 35,810 nabi-tans, le premier groupe est composé de 107’électeurs ; le second, de 471 ; le troisième de 2,607, et chaque groupe élit 8 conseillers municipaux sur 24.