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comparés, découvrir quelques étapes intermédiaires de la route que le symbolisme du lotus suivit vers l’Orient. Ainsi, dans les sculptures de la Phénicie, on trouve des déesses qui tiennent à la main un calice de lotus, et, sur les bas-reliefs perses de Tak-i-Bustan, le dieu solaire Mithra est assis sur la fleur épanouie de la plante. Chez les Mésopotamiens et chez les Perses, il n’est pas rare de voir cette fleur, par un étrange renversement des lois botaniques, décorer des arbres à haute tige où l’on s’accorde à reconnaître, soit l’arbre sacré des Sémites, soit l’arbre iranien qui sécrète la liqueur d’immortalité. Sur une patère de travail phénicien trouvée à Amathonte, les fleurs de lotus, que portent ces arbres conventionnels, sont cueillies d’une main par des personnages, vêtus à l’assyrienne, qui, de l’autre main, tiennent une clé de vie. Aujourd’hui enfin, la nymphœa nelumbo, le beau lotus à fleur rose, qu’on reconnaît sur les monumens de l’Egypte, ne croît plus nulle part à l’état sauvage dans la vallée du Nil ; mais, par une curieuse coïncidence, il s’est conservé dans la flore comme dans la symbolique de l’Inde.

Une des formes les plus fréquentes de la croix, c’est la croix gammée, ainsi nommée parce que ses quatre brasse recourbent à angle droit, en formant une figure analogue à quatre gammas grecs dirigés dans le même sens et soudés par la base. On la rencontre chez tous les peuples du vieux monde qui s’étendent du Japon à l’Islande, et elle s’est retrouvée jusque dans les deux Amériques. Rien n’empêche de supposer, au premier abord, qu’elle aurait été conçue spontanément partout, à l’instar des croix équilatérales, des cercles, des triangles, des chevrons et des autres ornemens géométriques si fréquens dans la décoration primitive. Mais, quand on la voit, tout au moins chez les peuples de l’ancien continent, invariablement passer pour un porte-bonheur, figurer dans des scènes funéraires ou sur des pierres tombales, de la Grèce à la Scandinavie et de la Numidie au Tibet, enfin décorer la poitrine des personnages divins, depuis Apollon jusqu’au Bouddha, sans oublier certaines représentations du Bon-Pasteur dans les catacombes, on ne peut se soustraire à la conviction que, dans sa signification, sinon dans sa forme, elle procède d’une source unique. Et cette assertion semble confirmée par le classement des monumens où on l’a rencontrée ; elle apparaît, en effet, dès les temps préhistoriques, chez les peuples originaires du bassin du Danube qui ont respectivement colonisé les rives de la Troade et le nord de l’Italie, puis elle s’étend, avec les produits de cette antique culture, d’un côté chez les Grecs, les Étrusques, les Latins, les Gaulois, les Germains, les Bretons, les Scandinaves, de l’autre, en Asie-Mineure, au Caucase, en Perse, dans l’Inde, enfin en Chine et au Japon.