avoir fait un long voyage pour contrôler un fait. Il va d’un sanctuaire à l’autre pour s’assurer que les informations dérivées des deux sources sont concordantes. C’est bien déjà cette recherche « laborieuse » que Thucydide exige et qu’il trouve trop rare. On sait le mot dédaigneux de Thucydide pour ses devanciers, plus occupés, disait-il, d’amuser que d’instruire. Ce mot, dans sa pensée, s’appliquait-il aussi à Hérodote, ou seulement à la majorité des logographes ? Il est bien possible que le « père de l’histoire » n’ait pas trouvé grâce aux yeux du grand historien attique : de l’un à l’autre, en effet, l’intervalle reste grand, et Thucydide devait être disposé à l’exagérer plutôt qu’à l’amoindrir. Mais en théorie, du moins, et d’une manière générale, on peut dire qu’Hérodote est d’accord avec Thucydide sur le premier devoir de l’historien, celui de chercher le vrai avec une patience opiniâtre.
Comme lui encore, Hérodote reconnaît que cette recherche doit être circonspecte. Il ne veut pas qu’on prenne de toutes mains et au hasard, « sans examen. » Il proclame donc la nécessité de la critique.
Mais, en matière scientifique, des principes aussi généraux que ceux-là sont peu de chose par eux-mêmes, s’ils n’aboutissent à des règles précises et si ces règles ne sont pas bien appliquées. Il faut voir quelle méthode proprement dite Hérodote a tirée de ses principes et comment il l’a mise en pratique.
Nous n’avons pas à parler de sa probité scientifique. L’opinion générale, à cet égard, a été exprimée par M. Curtius, l’historien de la Grèce, qui déclare quelque part que l’œuvre d’Hérodote porte, à ses yeux, « le caractère indéniable d’une pleine véracité. » Il est vrai que, dans ces derniers temps, on a vivement contesté cette véracité. Hérodote, au dire d’un savant contemporain, est un menteur ; les voyages qu’il prétend avoir faits sont en grande partie imaginaires ; pour se donner l’apparence d’un témoin oculaire, il copie impudemment ses devanciers sans les citer, et il n’a pas toujours vu réellement ce qu’il dit avoir vu. La thèse nouvelle est tranchante ; il reste à la démontrer ; car les preuves alléguées sont fragiles et ne sauraient ôter à cette opinion le caractère d’un paradoxe qui ne tire pas à conséquence. Après comme avant cette vive attaque, il est permis de croire qu’Hérodote fut un honnête homme et que sa naïveté charmante n’est pas un raffinement d’hypocrisie. Laissons donc de côté, purement et simplement, cette grosse querelle morale, et bornons-nous à examiner le côté scientifique de la question.