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Parmi les faits qu’il rapporte, Hérodote aime à distinguer entre ceux qu’il a vus lui-même et ceux qu’il sait seulement par ouï-dire ; à quoi il ajoute une mention spéciale pour ceux qu’il établit par raisonnement ou par conjecture. Mais comme ceux-ci encore, en dernière analyse, reposent sur des faits du premier ou du second groupe, tout se ramène, on somme, à examiner comment Hérodote sait user, soit du témoignage de ses sens, soit des informations qui lui sont fournies par autrui.

Les faits dont il doit la connaissance à ses observations personnelles sont nombreux. C’est le cas pour mainte description de monument, de pays, de coutume ; non pas pour toutes, cependant, car il emprunte nécessairement beaucoup aux dires d’autrui. Quelle foi mérite-t-il quand il déclare parler de visu ? Notons qu’il ne suffit pas toujours d’être sincère pour être exact : on a pu dire de tel voyageur-poète, dans notre siècle même, qu’il avait le don de l’inexactitude. Il y a des esprits naturellement inexacts. D’autres, très exacts par nature, échouent par la faute des circonstances : Thucydide, par exemple, indique fort mal la largeur des passes de Sphactérie ; c’est qu’une bonne vue, même au service du meilleur esprit, ne suffit pas toujours pour apprécier une distance, si elle n’est aidée par l’emploi des instrumens, redressée par la comparaison des expériences antérieures, avertie par l’usage ordinaire des cartes et des plans. Tous ces secours, si abondans aujourd’hui, n’empêchent pas les modernes de faire des erreurs ; il faut s’attendre à trouver bien plus de fautes encore chez les anciens, dépourvus de ces procédés de contrôle et d’éducation. Il est donc impossible qu’Hérodote ne se soit pas trompé souvent, surtout si l’on songe qu’il écrivait ses souvenirs une fois de retour, sur des notes à coup sûr insuffisantes et sans moyens de vérification. On a plus d’une fois signalé les erreurs d’Hérodote, et l’on a bien fait : mais quelques savans y ont mis de l’acrimonie, en quoi ils ont eu tort. Voici, entre beaucoup d’autres, une erreur qu’on lui a reprochée. Dans sa description des roches sculptées du défilé de Karabel, en Ionie, il signale des images de guerriers qui portent un arc dans leur main gauche et une lance à droite. Or c’est le contraire qui est vrai : l’arc est à droite et la lance à gauche. L’erreur n’est pas bien grave ; mais le plaisant de l’affaire, c’est que le savant qui l’a signalée avec indignation ajoute que la taille des guerriers est double de celle qu’indique Hérodote ; or, sur ce point, ce n’est pas Hérodote qui s’est trompé ; la taille réelle des deux images est à peine plus grande que celle qu’il indique, et elle est bien moindre que ne le ferait croire l’observation de son critique. Ajoutons que ces sculptures sont à plus de 40 mètres au-dessus du sentier, ce qui rend les erreurs excusables, même de la part d’un savant