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Péoniens. C’est une légende populaire, saisie au vol, avec des tours de phrase à la Perrault, et, sur une donnée naïvement rusée, un mouvement de récit doux, gracieux, un peu traînant :


Il y avait une fois deux Péoniens, Pigrès et Mantyès, qui, après le retour de Darius en Asie, voulant devenir rois de Péonie, vinrent à Sardes, amenant avec eux leur sœur, qui était grande et belle. Ayant observé le moment où Darius allait siéger comme juge dans le faubourg, ils firent la chose suivante. Ils parèrent leur sœur de leur mieux, puis l’envoyèrent à la rivière avec un vase sur la tête, le bras passé dans le licol d’un cheval qu’elle conduisait, et filant sa quenouille. En passant devant Darius, elle attira son attention ; car ni en Perse ni en Lydie, les femmes ne faisaient de la sorte, non plus qu’en aucun lieu de l’Asie. Le roi donc, l’ayant remarquée, envoya quelques-uns de ses gardes pour observer ce qu’elle ferait du cheval. Les gardes la suivirent. Elle, arrivée au bord de l’eau, abreuva d’abord le cheval, puis, quand il eut bu, remplit d’eau son vase et reprit enfin sa route, ayant toujours le vase sur la tête, la bride du cheval à son bras et sa quenouille à la main. Darius, étonné du rapport de ses gardes et de ce qu’il avait vu lui-même, commanda qu’on la lui amenât en sa présence. Quand elle eut été amenée, ses frères, qui avaient tout observé à quelque distance, s’approchèrent incontinent. Et comme Darius demandait le nom de son pays, les jeunes gens répondirent qu’ils étaient Péoniens et qu’elle était leur sœur. Le roi voulut alors savoir quelle sorte d’hommes étaient les Péoniens, où ils vivaient, et pourquoi ceux-ci étaient venus à Sardes. Ils répondirent qu’ils étaient venus pour se donner à lui ; que, pour la Péonie, c’était un pays avec des villes, sur le bord du Strymon ; que le Strymon était voisin de l’Hellespont, et qu’ils descendaient des Teucriens de Troie. Ils dirent tout cela en détail, et le roi demanda si toutes les femmes de chez eux étaient aussi travailleuses que leur sœur. Ils s’empressèrent de répondre affirmativement ; et c’était justement pour cela qu’ils avaient tout conduit de la sorte. Aussitôt Darius envoya des ordres à Mégabyze, qu’il avait laissé en Thrace à la tête des troupes, pour lui enjoindre d’expulser les Péoniens de leur pays et de les lui envoyer avec leurs femmes et leurs enfans.


S’il s’agit encore de tracer un tableau vaste, mais plutôt pittoresque et amusant dans le détail que fortement composé, l’imagination d’Hérodote y excelle. Par exemple, l’énumération de toutes les troupes qui forment l’armée de Xerxès, avec leurs costumes bizarres et l’étrange variété de leur armement, est un morceau d’un vif intérêt ; il semble qu’on assiste à ce prodigieux défilé de peuples où apparaissent successivement, à côté des Perses et des Mèdes, coiffés de leurs tiares et de leurs mitres, les Éthiopiens,