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M. Faguet n’a rien dit où je ne souscrivent l’écrivain, qu’il a trop sévèrement traité, c’est du philosophe, ou mieux encore, c’est de l’apôtre que je voudrais dire quelques mots, et tâcher de faire voir, si nous lui devons quelque chose, de quel prix nous l’avons payé.

On nous répète, en effet, tous les jours que, si Voltaire et quelques autres n’avaient pas écrit, « notre métier serait moins facile, notre vie moins douce, notre provision d’idées plus pauvre ou moins libre, et notre plume, quand nous en avons une, moins légère. » Et, en un certain sens, comme il est vrai que nous descendons tous de tous ceux qui nous ont précédés, il est également vrai que nous leur devons à tous quelque chose de ce que nous sommes. Seulement, dire cela, c’est ne rien dire, quand on y songe. Car il s’agit de savoir ce que nous leur devons, et, comme dans le cas de Voltaire, si les charges de l’hérédité n’en passeraient point les bénéfices. Nous sommes hommes avant que d’être journalistes ; et d’avoir rendu « le métier d’écrire plus facile, » au lieu d’en louer Voltaire, il se pourrait que l’on dût l’en blâmer. Mais pourquoi lui serions-nous obligés d’avoir rendu « notre plume plus légère, » s’il n’est que trop aisé de montrer les inconvéniens de cette légèreté ? Traiter légèrement les choses sérieuses, et pour cela commencer soigneusement par s’abstenir de les comprendre ; juger d’un mot plus ou moins spirituel et injuste l’Esprit des lois et l’Histoire naturelle ; couper court aux discussions par une pantalonnade ; répondre par Candide à la Lettre sur la Providence ou à la Théodicée de Leibniz ; s’égayer en polissonneries aux dépens de Pascal et parodier le christianisme, en écrivant la Bible enfin expliquée par les aumôniers du roi de Pologne, je ne vois pas qu’il y ait lieu d’être si reconnaissant à Voltaire de nous en avoir enseigné la manière ; ou plutôt, nous avons le droit de le lui reprocher. La plaisanterie n’est pas toujours ni partout à sa place ; et j’en veux à l’auteur du Dictionnaire philosophique de tout ce qu’il en a fourni de trop faciles, depuis cent ans, aux Gaudissart et aux Homais.

Mais Voltaire ne s’est pas contenté de leur rendre le métier plus facile ; il a voulu, nous dit-on, leur rendre aussi la « vie plus douce, » et il a enrichi leur « provision d’idées. » Elle était donc, en vérité, bien pauvre ? Ce que M. Emile Faguet s’est en effet efforcé de montrer, c’est que Voltaire fut l’homme de son siècle, le courtisan de l’opinion de son temps, et l’interprète enfin de ce qu’on pourrait appeler les idées communes de ses contemporains. J’ajouterais, si je ne craignais d’avoir l’air de jouer sur les mots, que sa grande originalité fut surtout d’en