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majorité des citoyens français, » une république dont le président, par le même traité, s’engage à « faire une profession particulière du culte catholique, » met la barrette sur la tête des cardinaux, nomme les évêques, se charge ainsi en quelque façon de la conduite de nos âmes, et remplit une mission pour ainsi dire spirituelle en désignant, parmi les clercs, les successeurs des apôtres qui doivent nous guider dans les voies du salut, une pareille république est très mal venue à dire à cette religion, à son clergé, à ses fidèles : « Je ne sais qui vous êtes ; j’ignore s’il y a en France un ou plusieurs cultes et combien ils comptent d’adhérens. Par conséquent, il est de mon devoir d’observer là-dessus une scrupuleuse neutralité. »

Je ne suis pas de ceux qui s’exagèrent la portée des mesures prises par les derniers parlemens à l’égard du catholicisme ; leurs résultats tromperont peut-être tout le monde. Quelques-unes blessaient directement la liberté la plus élémentaire ; prises dans un moment d’emportement, elles ont été désavouées par l’opinion et regrettées, dit-on, par leurs auteurs ; leur durée a été éphémère et les choses ont repris leur cours comme précédemment. Telle fut la dispersion, faite à grand bruit, des congrégations religieuses. D’autres prescriptions, comme le service militaire d’un an auquel les aspirans au sacerdoce se trouvent désormais soumis, resteront sans doute en vigueur aussi longtemps que le service obligatoire. Le courant égalitaire n’est pas près de s’arrêter, et il serait plus difficile à une chambre conservatrice de rétablir la dispense totale, qu’il ne l’était à une chambre républicaine de la maintenu.

Que cette loi ait été votée dans le dessein de faire pièce à l’Église et d’entraver son recrutement, cela est possible ; mais y parviendra-t-elle ? Il y aura des vocations que le port du képi trempera, il y en aura qu’il brisera, vocations moyennes, « mixtes, » comme dit un théologien, celles d’enfans pauvres auxquels une dévotion précoce a valu une bourse ou demi-bourse dans un séminaire, qui « poussent pour être prêtres, » selon l’expression paysanne, et qui font un bon vicaire comme ils auraient fait un bon médecin de canton, ou un bon employé de chemin de fer. Supposons que ceux-là ne reprennent pas la soutane, l’armée cléricale gagnera en qualité ce qu’elle perdra en quantité. Qui empêchera d’ailleurs les évêques, si leurs cadres se dégarnissent, de demander aux ordres feligieux des sujets pour remplir les cures, de faire appel à ces jeunes « congréganistes » qui peut-être ont des vocations plus solides, de leur imposer, ou faire imposer comme un devoir par leurs supérieurs, des postes séculiers. Il est clair que l’Église ne veut ni ne peut violenter personne dans son sein, mais on ne doit pas s’attendre à ce qu’elle demeure bénévolement avec des couvens pleins et des