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dans la situation d’un nu-propriétaire éternel vis-à-vis d’un éternel usufruitier, elles ne jouiront jamais et répareront toujours, du moins pour les gros travaux. Ne serait-il pas plus juste d’abandonner, moyennant un amortissement de longue durée, aux fabriques, représentans-nés des fidèles, la pleine possession des églises, qu’elles restaureraient à leurs frais, risques et périls, et d’en user de même avec le clergé pour les presbytères ? Il va de soi que celles de nos cathédrales qui font partie du patrimoine artistique de la France seraient soumises à la même surveillance que les châteaux et autres édifices appartenant à des particuliers qui sont aujourd’hui classés parmi les « monumens historiques. »

De ce que les communes et les départemens qui consacrent annuellement une vingtaine de millions aux édifices religieux feront l’économie de cette dépense, — et en même temps l’économie des discussions auxquelles elle donne souvent matière, — le jour où ces édifices ne leur appartiendront plus, il ne s’ensuit pas qu’il serait interdit, à un conseil municipal du Morbihan, de subventionner une chapelle, si cela lui plaît, pas plus qu’il n’est défendu au conseil municipal de Paris d’envoyer un secours à des grévistes auxquels il s’intéresse. Nul n’approuverait, j’en suis sûr, le rigorisme du directoire de la Corrèze qui refusait, en 1791, à une paroisse de son district le droit d’engager un prédicateur spécial pour le carême, par ce motif que, la nation ayant pourvu elle-même aux frais du culte, « toute commune qui se procurerait des sermons extraordinaires, à prix d’argent, conserverait des privilèges dans un temps où ils sont abolis. » Du moment où le clergé rentre dans le droit commun, il n’est pas possible de refuser aux évêchés et aux cures la personnalité civile, et par suite la faculté d’acquérir des immeubles dont jouissent déjà les hospices, les bureaux de bienfaisance et les sociétés commerciales de diverse nature. « J’ose penser, contrairement à une opinion bien générale et fort solidement établie, écrivait Tocqueville, que les peuples qui ôtent au clergé catholique toute participation quelconque à la propriété foncière, et transforment tous ses revenus en salaires, ne servent que les intérêts du saint-siège et se privent eux-mêmes d’un très grand élément de liberté. Un homme qui, pour la meilleure partie de lui-même, est soumis à une autorité étrangère, et qui, dans le pays où il habite, ne peut avoir de famille, n’est pour ainsi dire retenu au sol que par un seul lien solide, la propriété foncière. Tranchez ce lien, il n’appartient plus en particulier à aucun lieu. Dans celui où le hasard l’a fait naître, il vit en étranger, au milieu d’une société civile dont presque aucun des intérêts ne peut le toucher directement. »