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acte, lui donner force de loi, exigeaient un sens ferme et beaucoup de courage d’exécution. Rien dans les circonstances où avait vécu le premier consul, personne parmi ceux qui l’entouraient maintenant ne pouvait le mettre sur cette voie. Le conseil d’État, le sénat, l’Institut, se composaient en presque totalité d’hommes au moins étrangers à la religion. La philosophie des sensations régnait en souveraine et sans nulle contradiction. Les sciences et les lettres étaient pénétrées de l’esprit irréligieux. Dix années de persécutions ou d’oppressions avaient interrompu les habitudes de piété ; pour pratiquer, il fallait du zèle et souvent du courage. Les plus vulgaires esprits forts s’enorgueillissaient du triomphe de leur cause, et le succès venait s’ajouter à leurs argumens ; les indifférens vivaient sans que rien ne les rappelât à aucun devoir.

Malgré de telles apparences, le premier consul savait voir qu’au fond et dans la réalité, la religion chrétienne n’avait pas cessé d’être le lien des familles, la consécration réelle et nécessaire de la morale, la seule règle de la vie.

« Qui a jamais imaginé, disait-il à Volney, de ne pas faire baptiser son enfant ! »

Pour les gens de la campagne, les bonnes mères de famille, les honnêtes femmes, pour une grande partie de l’honorable bourgeoisie, la suppression des cérémonies, la fermeture des églises, la proscription des prêtres n’avaient toujours été qu’un désordre qui ne devait pas durer. Rien de régulier, rien de stable ne pouvait se produire pour satisfaire aux besoins moraux, plus ineffaçables dans les âmes simples et calmes que dans les intelligences développées.

Non-seulement le premier consul ne comptait peut-être point autour de lui trois hommes en disposition de comprendre de si sages pensées, une si utile résolution ; mais il avait la certitude de rencontrer une vive opposition. Les opinions irréligieuses se sentaient dépossédées d’une suprématie qu’elles avaient regardée comme définitive. Cette victoire sur la religion, remportée après la terrible guerre que lui avait faite le XVIIIe siècle, était remise en question. De là une irritation vive, une amertume dédaigneuse et hostile. Les indifférens eux-mêmes se voyaient troublés dans la jouissance de leur insouciante liberté. L’incrédulité venait assurément de faire dans les années précédentes ses preuves d’intolérance ; elle avait été aussi cruelle et tyrannique qu’aucun fanatisme. Sans même parler de ces déplorables souvenirs, on ne sait pas combien les hommes sans foi religieuse sont importunés et offensés de voir près d’eux une croyance qui repousse et blâme leurs doutes, adore la divinité niée ou méconnue par eux, et s’impose des devoirs dont ils s’affranchissent. Voilà ce qui me frappa profondé-