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membre de la chambre des pairs. Je m’étonnais de voir M. de Cazalès, le plus grand orateur de la Constituante après Mirabeau, homme d’opinions raisonnables, et supérieur à l’esprit de parti, faire si peu de figure. Ses manières et sa conversation me paraissaient presque vulgaires. Il ne se mettait pas au courant des questions et des projets du moment. Avec sa réputation et l’importance de son rôle passé, il aurait pu prétendre à tout et tenir une grande place dans la politique. Au lieu de cela, il semblait le protégé et presque le commensal de M. Fabre, personnage de troisième ligne, qui avait pour tout mérite un peu d’intrigue.

Mais de tous ceux qui s’intéressaient à moi, celui qui m’a témoigné le plus d’affection et de paternité, c’est M. Benoist. Lorsque je fus placé au ministère dans la division qu’il dirigeait, je ne le connaissais nullement[1]. Peu à peu, il s’attacha à moi, prit un grand intérêt à mes succès, me fit valoir dans le monde ministériel ; il a été le véritable point de départ de ma carrière. Je lui sais encore plus de gré d’avoir eu pour moi du goût et une amitié tendre et réelle. J’étais de la famille chez lui. Parmi les habitués de sa société, des plus variées, on remarquait des gens de lettres, anciens camarades des années de la révolution, quand il travaillait lui aussi à des entreprises littéraires ou à des traductions, des personnages qui, sans être devenus ministres ou conseillers d’État, exerçaient des fonctions importantes dans l’administration, quelquefois également des hommes distingués du monde de l’ancien régime, souvent des artistes, ceux-là presque de la maison, car Mme Benoist avait été élève de David. Encore peintre de profession, elle exposait au Salon et faisait des tableaux commandés par le gouvernement.

Dans de semblables milieux, j’étais en mesure d’étudier de près et les choses et les hommes, et de commencer à les juger avec indépendance.

Napoléon donnait, à ce moment même, par la conclusion du concordat, la plus grande preuve peut-être de sa haute raison et de son étonnante sagacité. Assurément, la paix religieuse, le libre exercice du culte catholique, le respect du gouvernement pour la croyance de la majorité des consciences étaient des conditions essentielles du bon ordre, un pas indispensable à faire pour sortir de l’état révolutionnaire. Mais reconnaître cette nécessité n’était pas alors une pensée répandue ni facile à concevoir. La convertir en

  1. M. Benoist a conservé ce même poste jusqu’à la fin de l’empire. Sous la restauration, successivement commissaire à l’intérieur, conseiller d’État, directeur de l’administration communale, puis des contributions indirectes, il fut nommé, à la chute de M. de Villèle, ministre d’État. Son fils, M. Benoist d’Azy, a joué un rôle considérable dans la haute industrie métallurgique et des chemins de fer. Il a été un des membres les plus important de plusieurs de nos assemblées parlementaires.