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Telle fut sa réponse.

La nouvelle constitution amoindrissait encore le peu de garanties que les lois de l’an VIII semblaient laisser subsister contre le pouvoir absolu. Le sénat recevait en apparence des attributions qui le grandissaient ; mais il était facile de voir qu’il ne serait jamais un obstacle aux volontés mêmes les plus illégales de l’empereur.

En se plaçant sur un trône, Napoléon voulut se donner le pompeux appareil des souverains qui dataient du siècle passé. Il eut des grands dignitaires, des connétables, des maréchaux de France, une cour de chambellans, d’écuyers, de maîtres de cérémonies. Peut-être y trouvait-il l’avantage de s’attacher un entourage d’hommes qui lui devraient leur élévation et leur fortune. Il eut aussi l’idée de rappeler à lui la haute aristocratie de l’ancien régime, en restituant à plusieurs de ses membres leur position perdue. Il aurait dû savoir que la révolution à laquelle il succédait avait eu pour cause première, non pas la liberté, mais l’égalité.

Lorsque le sénatus-consulte fut promulgué dans les rues de Paris, le peuple resta froid.

Le même jour, la Comédie-Française donnait la première représentation d’une tragédie intitulée : Pierre le Grand. On n’en ignorait pas l’auteur. Marié à une nièce de Cambacérès et membre du tribunat, nul ne s’était montré plus empressé que M. Carrion de Nisas dans la discussion sur l’hérédité et l’empire. Sa tragédie de Pierre le Grand avait pour sujet la conspiration du prince Alexis contre son père. L’auteur représentait un souverain qui, après de nombreuses victoires, revient dans sa capitale et fait cesser les désordres et les conjurations. Pierre y figurait comme fondateur de la puissance en Russie. Une foule, telle qu’on n’en avait jamais vu, se pressait longtemps avant l’ouverture des bureaux. La salle fut bientôt comble. Ceux qui n’avaient pu avoir de billets étaient restés dans la rue. Aux sifflets du dedans répondirent bientôt ceux du dehors. Plus d’une fois, Talma supplia le public d’essayer d’écouter un moment. La police ne tenta pas de rétablir l’ordre, et la pièce ne s’acheva même point. Les journaux qui rendirent compte de la représentation attribuèrent cette émeute des spectateurs à un ancien article de M. de Nisas, qui accusait une cabale et le peu de goût du parterre du mauvais sort de Montmorency[1].

  1. M. Carrion de Nisas, gentilhomme du Languedoc, était officier de cavalerie lorsque commença la révolution. Favorable d’abord aux idées libérales, il ne se laissa pas entraîner plus loin et fut mis en détention pendant la Terreur. Homme d’esprit et de lettres, il avait fait jouer à Paris en 1800 une tragédie : Montmorency. Pour assurer le succès, il convoqua alors les Languedociens présens dans la capitale. Leurs applaudissemens, prodigués à chaque instant, déplurent au parterre : la pièce ne méritait pas un tel triomphe. Les sifflets excitèrent la patience des Languedociens et la représentation fut troublée par des rixes bruyantes.