Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/400

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Milan la couronne de fer des anciens rois lombards. Lorsque son frère Joseph vint lui faire ses adieux, il lui dit :

— Vous devriez apprendre l’espagnol.

Le prince répéta le jour même cette parole à M. Andrieux, de l’Institut. C’est de lui que, M. Auger et moi, nous apprîmes ce premier indice de la guerre d’Espagne.

A propos de ces pourparlers pour la création du royaume d’Italie, M. Capefigue et M. Thiers apprécient avec une sévérité malveillante la conduite de M. de Melzy, homme distingué et d’un noble caractère, appartenant à la haute aristocratie milanaise. Ses manières étaient d’un grand seigneur. Nourri dans les idées et les lumières du XVIIIe siècle, lié avec la société française, il avait comme tant d’autres aimé l’indépendance et la liberté de l’Italie. La conquête française lui fit espérer une délivrance. Le général Bonaparte le traita avec une grande distinction et comprit ce qu’il valait. Devenu ainsi le premier personnage et le vice-président de la république italienne, il tarda peu à voir que l’Italie ne devait attendre de Napoléon ni une existence nationale ni des institutions libérales. Lorsque la république disparut pour faire place au royaume d’Italie, M. de Melzy n’était plus en harmonie avec l’empereur. Sa conduite fut alors prudente et convenable. A vrai dire, et dans la conversation intime, il se montrait mécontent et frondeur. Il avait des titres et des dignités ; on lui témoignait constamment beaucoup d’égards, mais il était en disgrâce et ne demandait pas mieux.

Napoléon ne cessait point de se préoccuper de la descente en Angleterre, qu’il conçut réellement. De si énormes dépenses, une application si constante de sa pensée et de ses soins, deux années consacrées aux préparatifs de cette grande entreprise, n’étaient point une vaine démonstration. M. Thiers se complaît à exposer avec détails et intérêt tout ce qui a été fait et projeté pour l’accomplir. Il rappelle les difficultés, les périls, les objections et en même temps la persistance habile de l’empereur. Toutefois, il est évident que, malgré sa force de volonté, son audace à jouer les grandes et aventureuses parties, il voyait de jour en jour davantage combien celle-là était difficile et exposée à des chances contraires. Le propre de son génie était de placer entre une conception hardie et une exécution impétueuse un long intervalle destiné à réunir les moyens de réussite, à les accumuler, à les combiner avec prudence, à tout prévoir, à tout préparer. Il se rendait compte que le succès dépendait de l’apparition imprévue et soudaine dans la Manche, de toutes les escadres françaises et espagnoles, qui auraient protégé le passage de la flotte de transport.