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l’Académie des Beaux-Arts venait de lui donner. Appelé à rentrer en qualité de directeur dans cette Académie de France où il avait fait ses débuts comme pensionnaire plus de trente ans auparavant, dans cette ville de Rome où il avait ensuite passé de longues années, tout entier à ses studieux efforts, à ses luttes contre la pauvreté et, — tâche plus rude encore, — contre les injustes dédains du public, Ingres y rapportait la même opiniâtreté, dans sa foi, la même intolérance si l’on veut. Il y rapportait aussi des habitudes de vie fort peu mondaines, les goûts les plus modestes là où son art ne se trouvait pas directement intéressé, en un mot les mœurs recueillies d’un solitaire plutôt que les dispositions d’un homme heureux de se montrer sur un grand théâtre et d’y jouer, sous les regards de tous, un rôle nouveau pour lui.

Il y avait loin sans doute de ces inclinations et de ces habitudes à l’humeur expansive et aux coutumes élégantes d’Horace Vernet. Au point de vue des doctrines, la différence était aussi tranchée entre les deux maîtres, le genre d’influence qu’il appartenait à chacun d’eux d’exercer aussi nettement caractérisé. Si bien fondé qu’il lût à compter sur le facile succès de ses ouvrages, Vernet n’en avait pas moins la passion du travail pour le travail lui-même, le besoin de produire plus encore que le besoin d’être loué. Par là, par cette ardente application à la tâche de chaque jour[1], il donnait aux jeunes artistes qui l’entouraient une leçon de sincérité toute pratique ; il leur enseignait à sa manière, sans nulle arrière-pensée quant au reste, sans la moindre prétention dogmatique, le devoir pour chacun de s’interroger de près et, la lumière intérieure une fois faite, d’exprimer tout uniment ce qu’il a senti. La doctrine d’Ingres était à la fois moins simple et plus impérieuse. Si Ingres n’exigeait pas absolument des autres qu’ils vissent par ses propres yeux, au moins entendait-il bien les assujettir à ses croyances ; s’il pensait que l’imitation pieuse de la nature est la condition première et indispensable de toute œuvre d’art, il pensait aussi que cette imitation ne pouvait avoir son éloquence qu’autant qu’elle procéderait dans les formes des souvenirs de Raphaël et de l’antiquité. Hors de là, point de salut : comme, dans le domaine de la musique, tout ce qui ne tendait pas à continuer la pure tradition des maîtres consacrés devait, suivant Ingres, être réprouvé sans merci, y compris les ouvrages de Rossini lui-même. Que dans la pratique il lui arrivât fort heureusement de démentir ces principes de subordination à outrance aux exemples du passé, c’est ce que

  1. « Il tombe sur la besogne comme un affamé sur du pain, » écrivait Mendelssohn au sortir de l’atelier où il l’avait vu travailler.