Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/473

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne demanderaient pas mieux que de rester au travail ; ils n’osent pas résister aux pressions violentes, ils cèdent à quelques meneurs, parfois étrangers, qui ne cherchent qu’à prolonger des crises meurtrières et se font une importance avec les misères des pauvres gens. Ce qui n’est pas moins évident, c’est qu’au lieu de s’attacher aux intérêts sérieux et pratiques de ceux qui travaillent, on les abuse en leur livrant ce mot d’ordre chimérique et décevant de huit heures de travail, qu’on leur promet de faire consacrer par une loi internationale. Est-ce que la loi peut disposer de la liberté du travail, des nécessités si variées de l’industrie ? Est-ce que les conditions sont les mêmes partout, dans tous les pays et dans toutes les fabrications ? Est-ce qu’on ne voit pas qu’avec ces imaginations on s’expose à mettre les chefs d’industrie dans l’impossibilité de lutter avec la concurrence étrangère, à tarir la production et, par cela même, à ruiner les ouvriers eux-mêmes en affaiblissant la puissance industrielle et commerciale de la France ? Les Anglais, qui sont gens pratiques, ne se soucient pas du tout d’une législation internationale. Ils prétendent rester libres chez eux. S’ils demandent les huit heures de travail pour les autres, c’est que par la supériorité de leur outillage ou par des raisons qui leur sont propres, ils se croient en mesure de faire en huit heures plus de travail que les ouvriers du continent, et ils sont sûrs ainsi de garder toujours l’avantage. Ils font leurs affaires ! Les vrais ouvriers français sentent bien que l’amélioration de leur sort tient à d’autres conditions.

Que ces questions qui intéressent le travail s’agitent sans cesse et soient toujours devant les yeux des hommes prévoyans, rien de mieux, assurément. Elles s’éclairciront sans doute par une étude attentive, par la discussion, elles mûriront avec le temps. Ce n’est sûrement pas par des manifestations comme celle du 1er mai, par des grèves ou des utopies qu’elles seront résolues. En cela comme en tout, la première condition est qu’il y ait une politique dans le gouvernement, dans les pouvoirs publics. Quelle sera cette politique ? C’est une autre question que nos assemblées ont retrouvée plus que jamais devant elles en se réunissant, il y a quelques jours, au lendemain de tous ces récens incidens. A y regarder de près, peut-être ces chambres, jusqu’ici passablement divisées et incohérentes, sont-elles revenues de leurs vacances avec un esprit nouveau ; peut-être y a-t-il quelque changement, ou, si l’on veut, une apparence de dispositions nouvelles. Qu’est-il arrivé, en effet ? à peine les chambres ont-elles été rentrées, on s’est hâté, — c’était inévitable, — d’interpeller le gouvernement sur les mesures de précaution sévère qu’il avait prises le 1er mai à Paris, sur ses procédés un peu sommaires à l’égard de la grande manifestation, sur ses déploiemens de forces militaires à l’occasion des grèves ; on l’a interrogé sur tout, et M. le ministre de l’intérieur Constans, sans s’émouvoir, sans se laisser aller à de vaines déclamations,