Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pire, comme la plus désespérante des nécessités. Pour quelques-uns de ces malheureux, la maison Galignani est ou sera l’étape du repos et du bien-être ; là ils pourront reprendre courage, réparer leurs forces et calmer leurs angoisses avant la halte suprême qui met fin au voyage décevant de l’existence. Ils mourront apaisés, sinon consolés, dans la retraite que des hommes généreux leur ont préparée et que nous allons visiter pour en étudier l’aménagement, la règle et le bienfait.


II — LA MAISON DE RETRAITE.

C’est toute une ville nouvelle qui s’élève, entre les fortifications et la Seine, là où j’ai connu jadis le parc de Neuilly, cher à Louis-Philippe. Le château, comme l’on disait alors, n’avait rien de majestueux, c’était une élégante maison de plaisance qui semblait trop étroite pour la nombreuse famille du roi et qui était entourée de pavillons où l’on avait installé les services indispensables aux habitudes d’un souverain. C’était en quelque sorte l’emblème de la royauté bourgeoise, que l’on avait tenté d’établir en France après les journées de juillet et l’expulsion des Bourbons de la branche aînée. La révolution de février ne fit qu’une flambée de la demeure où le vieux roi aimait à se reposer et à vivre dans l’intimité des siens. Dès le 25 février, « le peuple juste et calme dans sa force et dans sa majesté, » se sentant altéré par sa victoire, se dit que l’on trouverait dans les caves royales du vin gratis et à discrétion. On a dû boire beaucoup : « à la mort du tyran et à l’avènement de l’ère nouvelle ! » car il a été constaté officiellement que le 24 février 1848, les celliers du château contenaient 90,000 bouteilles et 1,200 fûts ; le 26, il ne restait que 600 fûts et 160 bouteilles. L’ivresse engendre la gaîté et il était naturel de célébrer le triomphe populaire par un feu de joie. À l’aide des meubles, de la literie et des tentures, on construisit une sorte de bûcher que l’on alluma ; l’incendie gagna le château qui fut détruit, ensevelissant sous ses décombres quelques buveurs qui dormaient pour se délasser de leurs fatigues et qui eurent le sommeil trop lourd. On en jasa dans le premier moment, puis on n’en parla plus et il n’en fut que cela. En quoi la destruction de la maison de Neuilly contribua-t-elle au bonheur du peuple et à la gloire de la seconde république ? c’est là un point d’histoire moderne qui n’a pas encore été élucidé.

Le décret du 22 janvier 1852, prononçant la confiscation des biens de la famille d’Orléans, mit le parc de Neuilly à l’encan : on le vendit à l’écorché, et à travers les massifs d’arbres qui étaient