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gré, ne fut plus mal secondé : celui-ci s’entendait à ses dépens avec Noailles, celui-là avec Belle-Isle, et cet autre avec Conti. C’était, suivant lui, une conjuration universelle. La vérité est qu’il n’est presque aucun de ces agens dont il n’eût blessé l’amour-propre en recevant avec dédain des avis souvent donnés à propos et qui ne s’arrangeât d’avance pour tirer parti de sa chute prochaine. Mais il en était deux en particulier, l’un et l’autre considérables à divers titres, qui ne dissimulaient plus leur mauvaise humeur. C’était d’abord son ami personnel, l’évêque de Rennes ; puis l’abbé de La Ville, naguère ministre en Hollande et devenu,. depuis qu’il avait quitté Laillaye, premier commis des affaires étrangères.

Vauréal, on le sait, s’était mis de bonne heure sur le pied de correspondre avec son ministre par des lettres privées et familières. Mais de cette facilité, née de leur vieille amitié, il profitait maintenant pour lui dire, en face, les vérités les plus rudement désobligeantes. Il est vrai qu’il pouvait garder sur le cœur la semonce qu’il avait reçue pour s’être mis en avant, sans ordre, dans l’affaire du mariage espagnol. Mais Vauréal était fin courtisan et aurait su dévorer une injure, s’il ne lui avait pas paru plus utile et plus commode de s’en venger. En réalité, averti par ses relations à la cour, et en particulier par la vieille duchesse de Brancas (dame d’honneur désignée de la nouvelle Dauphine, comme elle avait été de la première), de l’orage qui grondait, il prenait les devans, pour ne pas être engagé, par les liens d’une amitié trop étroite, dans une solidarité compromettante. D’Argenson, revenant, dans une de ses lettres, sur l’incident du mariage, lui avait reproché assez doucement de s’être, dans cette circonstance comme dans d’autres, trop préoccupé de se faire bien voir de la cour de Madrid. « Quand on est sur un point de l’Europe, lui disait-il, on y rapporte tout, et je remarque que les meilleurs esprits se laissent aller à penser que tout est perdu, si on ne sacrifie pas tout à l’extrême bienveillance de la cour où ils résident. » — Suivaient quelques réflexions faites d’un ton dolent, mais qui n’avaient rien de nouveau, sur le prix excessif dont il fallait payer l’alliance espagnole et le danger d’une intimité trop grande avec une associée si exigeante. — « Ne soyons pas trop mal avec l’Espagne, cela suffit, lui disait-il. En vérité, si nous voulons continuer à tourmenter nos voisins pour l’établissement des infans, nous déplairons à Dieu et aux hommes. » — Et en finissant, il poussait encore quelques soupirs sur l’impossibilité d’amener aussi bien le nouveau roi d’Espagne que le précédent à une intelligence quelconque avec le roi de Sardaigne, ce qui serait toujours possible et certainement profitable.

Il faut entendre en quels termes virulens Vauréal, si calme