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accorde l’autorisation aux pensionnaires de Sainte-Périne ? Je ne crois pas.

Peut-on être heureux dans la maison du boulevard Bineau ? Oui, certes. Y est-on heureux ? Je n’en sais rien. Le 22 juillet 1889, lorsque la fondation des frères Galignani fut solennellement inaugurée en présence de M. Peyron, directeur de l’Assistance publique, de M. Whitelaw-Reid, ministre des États-Unis d’Amérique, des délégués de l’Académie française, des présidens du Cercle de la librairie, des chambres syndicales des imprimeurs typographes et des imprimeurs lithographes, M. Poubelle, préfet de la Seine, prononça un discours auquel répondit une harangue de deux pensionnaires qui rivalisèrent d’émulation pour témoigner leur reconnaissance à la mémoire des bienfaiteurs et pour célébrer les vertus particulières de l’Assistance publique. M. Poubelle riposta, et, spirituellement, constata que pour la première fois il venait d’entendre des administrés faire l’éloge de l’administration. — Eh ! vous êtes bien pressé, monsieur le préfet, ayez quelque patience. — « Tout nouveau, tout beau ; » le proverbe a raison. On s’accoutume à tout, on se dégoûte de tout, même de ce que l’on a désiré avec ardeur. C’est la loi commune, elle est dure, elle paraît injuste, mais elle n’est que naturelle et il est rare que l’on y échappe. Partout où j’ai regardé, — et j’ai regardé dans bien des maisons hospitalières, — je l’ai constatée non pas sans tristesse, mais sans surprise. Il n’est pas besoin d’interroger ceux qui sont entrés dans leur dernier refuge, il suffit, pour deviner ce qu’ils pensent, de voir l’expression de leurs yeux et l’amertume de leur sourire. Les âmes bien pondérées se réjouissent d’être au repos, les indolens se résignent, les cœurs ulcérés se révoltent. Ceux-là souffrent et sont à plaindre, ils subissent la tyrannie de leurs instincts que le malheur a exaspérés. Ce travail de décomposition de la joie d’abord éprouvée ne se fait pas en un jour. C’est par la répétition des mêmes exercices, par la régularité imposée à la vie, par la monotonie de l’existence, par l’uniformité de la règle, par les prescriptions qui pèsent sur la volonté, même lorsqu’elles ne sont pas mises en vigueur, que peu à peu les sentimens se modifient et parfois s’irritent jusqu’à l’acuité.

Lorsque l’on dit adieu à la misère, que l’on n’est plus obligé d’être en quête d’une nourriture problématique et d’un gîte incertain, lorsqu’après des jours d’attente et d’angoisse, on entend, — enfin ! — se reformer la porte de la maison où l’on mange, où l’on dort dans un vrai lit, où l’on n’a pas froid, où l’on est soigné si l’on est malade, quel soupir de soulagement, quel cri de gratitude, quelle action de grâce involontaire et comme jaillie du cœur ! c’est là le premier mouvement, dont Talleyrand recommandait de se