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Hommes de lettres, journalistes, romanciers, auteurs dramatiques, artistes de l’ébauchoir, de la brosse et du burin, femmes ayant vécu dans des milieux intelligens, se retrouvent dans la maison de retraite ; cela constitue une bonne compagnie à laquelle ne manquent point les ressources intellectuelles et où il doit être facile, sinon agréable de vivre ; si l’on réussit à y éviter les discussions politiques toujours aigres, souvent acrimonieuses, je ne connais pas d’endroit meilleur et plus propice à la vieillesse appauvrie. Au temps de mon enfance, j’ai entendu chanter un couplet dont j’ai retenu ces deux vers :


Pégase est un cheval qui porte
Les grands hommes à l’hôpital,


Ceux qu’il dépose aujourd’hui dans la retraite où je viens d’introduire le lecteur peuvent louer les dieux immortels et, comparant leur sort à celui de leurs prédécesseurs, s’estimer heureux, non pas d’avoir eu une vie pénible, mais de posséder enfin un repos qui durera jusqu’à l’instant où toutes les misères de notre triste monde sont oubliées. Qu’il me soit permis de rappeler qu’un des plus grands libraires qui ait étalé son luxe à la fin de la restauration et aux débuts de la dynastie de juillet, est mort à Bicêtre et que sa femme s’est éteinte sur des grabats de la Salpêtrière. Quel adoucissement à leur sort, quel calme pour leur fin, si la maison Galignani eût existé de leur temps !

L’idée qui a présidé à cette fondation est. si généreuse que je ne puis m’empêcher de croire qu’elle sera féconde. Est-ce que dans notre bon pays de France, laborieux, riche et bienfaisant, plus vivant que jamais, malgré les blessures reçues, est-ce que dans notre nation qui s’ingénie à secourir les misérables, qui jamais n’a refusé son offrande à la souffrance et à la débilité, est-ce que chaque corps de métier, chaque maîtrise d’états, comme l’on disait jadis, ne devrait pas avoir sa maison de retraite pour les vieillards affaiblis, pour les blessés du travail, pour les victimes des accidens inhérens à l’industrie ? Les invalides civils, auxquels le gouvernement provisoire de 1848 s’était platoniquement intéressé, pour être moins mutilés, n’ont pas moins lutté, n’ont pas eu moins à souffrir que les invalides militaires. Il y a encore autre chose que la gloire des armes pour illustrer un grand pays ; nous n’en pouvons douter, car nous l’avons souvent prouvé. Les soldats des victoires pacifiques, de ces triomphes sans larmes qui sont l’honneur même de l’humanité, ont droit, eux aussi, à la reconnaissance et à la protection contre les brutalités de la vie au déclin. Grave question qui se posera un jour d’une façon menaçante, à laquelle il est bon de