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l’intermédiaire de l’infante sa fille, qui en fit part aussi au maréchal de Noailles. La révocation de Maillebois fut dès lors déclarée nécessaire pour obtenir que La Mina consentît à rejoindre l’armée, française et à veiller en commun avec nous à la défense de notre territoire.

Personne n’ignorait, — et l’évêque de Rennes moins que personne, — les liens de famille et d’amitié qui unissaient d’Argenson au maréchal de Maillebois, père de son gendre ; d’ailleurs, les soupçons d’intrigues secrètes suivies avec la cour de Turin, passaient évidemment par-dessus la tête du général pour arriver jusqu’au ministre. Le trait était donc direct, et rien ne fut épargné pour le rendre plus cruel. Le successeur désigné de Maillebois n’était pas un personnage moindre que le fameux Belle-Isle. Un ordre du roi alla le chercher et le trouva languissant et frémissant depuis un an déjà dans sa retraite de Begy, où il gémissait, dit un observateur du temps, de voir sa gloire obscurcie par celle du maréchal de Saxe. Belle-Isle se fit prier : il sentait bien qu’en l’envoyant commander une armée que le roi ne visitait jamais, on lui réservait un rôle ingrat et peut-être sacrifié. La situation, disait-il lui-même, était désespérée : c’est pour cela, lui a dit le roi avec une bonne grâce toute princière, « que je veux vous la confier. » On lui promit l’envoi d’un renfort de quarante bataillons que Maillebois avait vainement réclamé. Puis, pendant qu’il préparait, de concert avec son ami Paris-Duverney, toutes les dispositions nécessaires pour la reprise de la campagne, son frère, le chevalier, que sa belle conduite à Raucoux mettait au premier rang parmi les officiers de son grade, dut se rendre tout de suite en Provence pour prendre provisoirement le commandement ; et ce fut par lui que Maillebois apprit son remplacement, dont, sans égard pour ses cheveux blancs et ses longs services, on n’avait pas même daigné le prévenir.

« On le renvoya, dit d’Argenson, avec une grande dureté, et cela dut m’annoncer ma propre disgrâce. » — En eut-il, dès lors, le sentiment aussi net ? En tout cas, il n’en laissa rien voir, et son langage, en annonçant lui-même la résolution à l’évêque et en l’engageant à faire valoir auprès de l’Espagne le mérite de ce sacrifice, eut un caractère de dignité vraiment touchante : — « J’ai un motif personnel, dit-il, qui augmente à mes yeux l’éclat de ce changement, mais je sais oublier de pareilles considérations en faveur du bien public, et la volonté du roi est la seule règle de mes pensées et de ma conduite. Les Espagnols ne sauraient du moins refuser à M. le maréchal de Maillebois la gloire de les avoir menés audacieusement au combat et de leur avoir donné l’exemple de la valeur la plus signalée et du courage le plus intrépide. » — A cette