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réflexion si tristement digne, Vauréal se vante d’avoir répondu « qu’il ne ferait pas bon tenir ici un tel discours, les Espagnols se croyant « mieux faits pour donner de tels exemples que pour les recevoir. »

D’Argenson n’en persista pas moins à le ménager ; il poussa même l’abnégation jusqu’à recommander à Belle-Isle de s’abstenir de tout rapport personnel avec la cour de Turin et de jamais se laisser dire un mot de diplomatie sans en prévenir à Madrid l’ambassadeur, dont il lui parla sans rancune et en fort bons termes. Belle-Isle n’ayant pas manqué de faire savoir à Vauréal ce jugement favorable de son ministre : — « Ce que vous me dites, répondit celui-ci, de la façon dont M. le marquis d’Argenson vous a parlé de moi, me fait un sensible plaisir : cela me surprend non-seulement par rapport à ses procédés envers moi, mais parce que je lui ai écrit assez clairement sur les inconvéniens de sa politique et sur les criminelles complaisances de son prédécesseur, qui sont la seule cause de nos défaites. Renvoyez-moi ce billet, je vous prie[1]. »

L’abbé de La Ville était, pour d’Argenson, un adversaire plus déclaré encore, et, dans la circonstance, plus à craindre. J’ai dit comment cet ecclésiastique distingué, après avoir rempli, en l’absence du marquis de Fénelon, dont il avait élevé les enfans, tes fonctions de chargé d’affaires à La Haye, les avait quittées quand les relations diplomatiques avec la république durent être rompues. On agent qui s’était bien comporté ne pouvant être rappelé sans compensation, on l’avait placé aux affaires étrangères en qualité de premier commis, poste auquel son habile talent de rédacteur semblait le rendre particulièrement propre. D’Argenson convient que ce don, chez lui, allait presque jusqu’à l’éloquence, ayant été, dit-il, agent de rhétorique chez les jésuites. À ce titre il venait même d’être appelé à l’Académie française en compagnie de Voltaire, et presque le même jour. C’était donc, à tous égards, un homme bon à ménager. Mais, de La Haye même, La Ville n’avait jamais cessé de blâmer en termes assez. nets les ménagemens excessifs gardés avec

  1. Vauréal à d’Argenson, octobre et novembre, passim, — D’Argenson à Vauréal, 13 novembre 1746. — D’Argenson à Belle-Isle, 15 novembre 1746. (Correspondance d’Espagne. Ministère des affaires étrangères.) — Vauréal à Belle-Isle (billet sans date.) (Ministère de la guerre, partie supplémentaire.) — Journal de Luynes, t. VIII, p. 10. — (Correspondance de l’ambassadeur de Venise à Paris, 14 novembre 1746.) — (Mémoires et Journal de d’Argenson, t. V, p. 26 et 27.) — Il y a lieu d’être surpris que d’Argenson, après avoir reconnu que le renvoi de Maillebois fut amené par les plaintes du gouvernement espagnol et les intrigues de Vauréal, attribue pourtant à ses efforts et même à son habileté les ordres qui furent donnés ensuite à La Mina de se rapprocher de Belle-Isle ; il est trop clair que ce changement d’instructions fut la conséquence de la satisfaction donnée aux rancunes de l’Espagne par la révocation d’un général qui lui déplaisait. L’habileté du ministre n’y fut pour rien.