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marchandises et dans le tarif des voyageurs. L’État-providence distribuerait sans compter le crédit aux commerçans et aux industriels, de même qu’il voiturerait à vil prix dans des wagons de luxe tous les Français disposés à se déplacer d’un bout à l’autre du territoire.

Les choses se passent tout autrement dans la réalité ; le taux élevé de l’escompte et de l’intérêt des avances produit inévitablement, toutes choses égales d’ailleurs, une diminution dans le chiffre des effets escomptés et des avances consenties. La Banque est ainsi constamment sollicitée de réduire le plus possible le prix qu’elle doit réclamer pour ses services, afin que ceux-ci soient d’autant plus demandés et que la quantité compense la modicité du taux de rémunération. C’est le système qui a été adopté par ces immenses comptoirs de vente que l’on appelle en France magasins de nouveautés, et en Amérique dry goods houses, et qui a fait la fortune des uns et des autres. Ainsi le veut la grande loi de la concurrence, qui a diminué le prix de toutes choses, développé la production, abaissé partout le taux de l’intérêt.

Soit, dira-t-on, la Banque de France s’est constamment efforcée de donner l’escompte à bon marché. Les regards fixés sur la situation générale monétaire, sur les faits économiques de toute sorte qui déterminent l’étendue ou la réduction des besoins, elle a réussi à maintenir le taux de son escompte et des avances à un niveau raisonnable et même à en éviter les modifications trop brusques. On le démontrera sans peine. Mais ce n’est pas assez. La Banque reçoit des fonds en dépôts improductifs pour les déposans, et surtout elle émet des billets remboursables à vue et au porteur. Elle « crée de la monnaie » avec du papier et, par conséquent, elle est constituée dispensatrice de ce supplément merveilleux des richesses positives et naturelles, le crédit. Cette situation privilégiée lui impose de grands devoirs. Le droit d’émission impliquant la fabrication d’une monnaie spéciale, en quantité pratiquement illimitée, elle est tenue de faire plus que ce dont on prétend lui faire honneur. Elle ne devrait pas seulement fournir au commerce un taux d’escompte généralement bas et suffisamment régulier, mais bien donner le taux d’escompte le plus bas possible, et avec cela permanent, immuable. Et comme il serait exagéré d’attendre d’un établissement privé qu’il assume de lui-même un rôle si désintéressé, qu’il se résigne, de sa propre initiative, à un tel sacrifice, il appartient à l’État, donateur du privilège, d’en réclamer rigoureusement le prix.

Telle est la thèse dans toute sa simplicité, débarrassée des questions connexes qui tendent plus ou moins à en altérer la véritable signification. Le privilège, avantage exceptionnel, source de profits