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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/606

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particuliers, doit être payé. La Banque satisfait-elle à cette condition, et, si elle paie, le prix qui lui est demandé est-il assez élevé ?

C’est déjà par soi-même une question assez ardue de savoir si le privilège d’émission est, en effet, un avantage devant être payé par l’établissement qui en est investi. Le droit d’émettre des billets remboursables à vue et au porteur ne peut jamais être concédé brutalement, en dehors de conditions spéciales de couvertures et de garanties, qui constituent comme un commencement de rançon de l’avantage obtenu. Ces conditions peuvent être plus ou moins rigoureuses. En général, elles impliquent une limitation étroite des opérations auxquelles peut se livrer la banque d’émission ; elles concentrent légalement son activité sur certains points déterminés, en l’enfermant dans des statuts dont il ne lui est, en aucun cas, possible de sortir. Elles imposent l’accumulation d’une quantité fixe ou proportionnelle de numéraire ; elles limitent enfin le droit même d’émission à un maximum qui peut varier selon le temps et les circonstances, mais toujours sous la sanction de la loi.

D’autre part, le privilège peut être concédé soit à une banque unique, comme en France, soit à plusieurs ou même à un nombre illimité d’établissemens, comme aux États-Unis. Dans ce dernier cas, nul ne songerait à réclamer le prix de la concession sous une autre forme que celle d’un impôt spécial. L’idée même de privilège disparaît lorsqu’il s’agit d’un avantage plus spécieux que solide et que plusieurs milliers de banques sont appelées à se partager. Le privilège ne change pas de caractère dans le cas de la concession unique, mais il prend l’apparence d’un don bénévole ; la foule l’interprète dans ce sens, et c’est alors que surgit la question de rémunération.

Mais le privilège est-il concédé pour l’avantage de la Banque elle-même, ou mieux de ses propriétaires, ou bien pour l’avantage du public ? La réponse n’est pas douteuse. C’est le public tout entier qui profite du privilège, par le seul fait de l’existence du billet de banque. C’est le public qui bénéficie de la création, due à près d’un siècle d’exercice du privilège, de cette monnaie fiduciaire dont le montant dépasse aujourd’hui trois milliards, et qui est si solidement établie, fondée sur des assises à ce point inébranlables, que pas même une catastrophe comme celle de la guerre de 1870-71 ne lui a porté la plus légère dépréciation. La véritable rémunération du privilège d’émission, la voilà ! Elle est toute dans l’impassible crédit du billet de la Banquo de France. La Banque la paie depuis que, par les développemens de son admirable organisation, elle a pu porter sa circulation fiduciaire de 240 millions, un peu avant la révolution de 1848, à 3,180 millions en 1890.

Revenons maintenant au taux de l’escompte, qui est un point