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préparant à la licence et au professorat, je n’ai jamais pu obtenir d’un seul d’entre eux qu’il prononçât un seul mot à la moderne. Pourquoi cette résistance ? Eux-mêmes en donnaient la raison : c’est, disaient-ils, que cela ne nous servira de rien dans notre carrière.

Et ils avaient raison, quoiqu’ils parussent avoir tort. Voici un élève de l’École normale, reçu agrégé à sa sortie et parlant le grec comme un Hellène. Il est envoyé professeur d’une classe moyenne dans quelque bon lycée, à Caen, à Orléans, même à Paris. Là il reçoit de la classe intérieure une trentaine de jeunes érasmiens préparés par son collègue ; par des exercices assidus, il leur ôte leur mauvaise habitude et les accoutume à bien dire. Vient le mois d’octobre, nos trente jeunes hellénistes passent aux mains d’un nouveau professeur qui est érasmien et leur fait dire kaï comme devant. Tel est le premier obstacle qui peut arrêter longtemps une réforme reconnue nécessaire. Une action partielle sera perdue comme une goutte d’eau dans l’océan. Or l’agrégation ne produit chaque année qu’un très petit nombre de professeurs de grec ; quelques-uns seulement viennent de l’École normale, les autres viennent du dehors. Un lycée ne peut guère recevoir qu’un ou deux de ces jeunes maîtres à chaque promotion ; l’action de ce jeune helléniste sera donc impuissante. Ou bien il faudrait que, prenant ses élèves dès leur première année de grec, il les suivît de classe en classe jusqu’à la fin de leurs études. On a quelquefois proposé ce moyen ; c’est une révolution dans le professorat. Supposons qu’on la réalise : au sortir de ses études, au jour où il se présentera pour être bachelier, l’élève se trouvera en face d’examinateurs érasmiens ; on ne se comprendra pas, et le maître ou l’élève, tous deux peut-être, sembleront ridicules ; c’est peu de chose, en réalité, c’est beaucoup en France. Il faudrait donc réformer tout d’abord la prononciation du grec dans les facultés, dans tout l’enseignement supérieur : à cette condition les examens de tout degré deviendraient chose vivante, comme ils le sont pour l’anglais et l’allemand, même pour l’arabe. Enfin, il serait bon que les proviseurs, les censeurs, les inspecteurs d’académie et les inspecteurs généraux fussent prêts à faire exécuter la réforme en se l’appliquant d’abord à eux-mêmes, afin de pouvoir remplir convenablement et pertinemment leurs fonctions.

On voit qu’une réforme partielle demeurera stérile. Le changement, pour être possible et durable, devra s’opérer à la fois dans toutes les parties du corps enseignant et conformément aux règles que les sa vans hellènes auront énoncées. Mais alors une nouvelle difficulté s’élève : nos professeurs ne connaissent que la prononciation érasmienne ; ils ne peuvent pas inventer l’autre, qui est celle du peuple grec. On leur distribuera un très petit livre, non