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n’étaient pas possibles. L’un ou l’autre devait être sacrifié, et Brühl, passé maître en fait d’intrigue et plus solide dans sa situation que ne l’était d’Argenson, avait résolu que ce ne serait pas lui.

La divergence se vit tout d’abord, quand il s’agit de faire partir le duc de Richelieu et sa suite. Tout était déjà arrangé autour de d’Argenson pour que le duc, avant de paraître à Dresde, commençât par aller toucher barre à Berlin. Il devait s’y rendre en compagnie du jeune marquis de Paulmy et en repartir avec de bonnes paroles, et, s’il était possible, un commencement de liaison entre la cour de Saxe et de Prusse. Ils y arriveraient l’un et l’autre, d’ailleurs, annoncés et recommandés par Voltaire qui avait l’air de faire de cette ambassade son affaire personnelle : — Très magnifique ambassadeur, écrivait le poète :


De votre petite maison
À tant de belles destinée,
Vous allez chez le roi saxon
Rendre hommage au dieu d’hyménée.
Vous, cet aimable Richelieu
Qui, né pour un autre mystère,
Avez souvent battu ce dieu
Avec les armes de son frère.
Revenez cher à tous les deux,
Ramenez la paix avec eux
Ainsi que vous eûtes la gloire,
Aux campagnes de Fontenoy,
De ramener aux pieds du roi
Les étendards de la victoire.


Et se servant d’une similitude que pouvait seule faire excuser la licence poétique, il comparait le galant Richelieu, devenu témoin officiel d’un mariage, à ces femmes de mœurs faciles « qui, à certains jours de leur existence, éprouvent le besoin de régulariser leur état dans ce monde par une alliance légitime. »

Averti du caractère que ces effusions de l’entourage ministériel donnaient à la mission de l’envoyé de Louis XV, le ministre de Saxe s’empressa d’y mettre un terme. Il aurait bien voulu, et c’était le désir du roi de Pologne lui-même, que le duc ne partît pas, et qu’on se dispensât d’envoyer un ambassadeur extraordinaire qui ne pouvait manquer de causer beaucoup de dépenses à une cour déjà très obérée. Mais n’ayant pu obtenir de Louis XV qu’on ne rendît pas à la nouvelle dauphine les honneurs faits à la précédente, on se borna à faire changer le caractère de la mission.

« Ayant appris sous-main, écrit le comte de Loos au comte de Brühl, que M. de Voltaire et Mme du Châtelet, avec lesquels le duc