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ouvrir les yeux sur ce qui regarde ce prince. Rusé comme il est, il flatte de nouveau de toute façon la France, mais l’exemple du passé où il a deux fois fait sa paix particulière, sous les auspices de l’Angleterre, sans se soucier des intérêts de cette couronne, cela ne devrait-il pas lui faire craindre que le roi de Prusse pourrait fort bien, quand la France serait épuisée, lui jouer un nouveau tour, plus sanglant encore que les précédens, en se tournant tout à fait du côté des puissances maritimes et de leurs alliés, par où la France se trouverait fort embarrassée de sa situation, pendant que le roi de Prusse obtiendrait par là la plus forte garantie pour la Silésie et peut-être encore d’autres nouveaux avantages ? Or, si ce cas est possible, comme il l’est, pourquoi ne pas le prévenir quand on le peut ? Je remets ces faibles réflexions au jugement plus éclairé de Votre Excellence, en ajoutant seulement que, quant à nous, nous avons une fois payé trop cher l’alliance prussienne pour y retourner une seconde fois… Je finis par où j’aurais dû commencer, c’est-à-dire par vous féliciter, monseigneur, des glorieux exploits que vous avez faits dans la dernière campagne, laquelle, après tant de places prises, vous avez encore terminée par une sanglante bataille et une victoire complète. Vous avez travaillé l’été à la guerre de la bonne façon. Tâchez donc d’en faire autant pendant l’hiver pour la paix, et vous mettrez le comble à votre gloire immortelle ! »

Et, quelques jours après, sous prétexte de régler certains détails du voyage de la Dauphine, il reprend la plume et complète cette fois tout à fait sa pensée : « Le ministre du roi a ordre de vous communiquer tout, monseigneur,.. et j’espère que Votre Excellence me fera réparation entière sur ma façon de penser. L’ambassadeur extraordinaire qu’on veut nous envoyer nous embarrasse un peu : mais nous tâcherons de l’accommoder le mieux que nous pourrons, si l’affaire n’est pas à changer. Ayant du reste dans ma dernière lettre déjà dit tout ce qu’il y a à dire sur les affaires du temps, je ne puis que m’y rapporter, ajoutant seulement que selon des notions toutes fraîches encore de la cour de Vienne, nos espérances augmentent de pouvoir acheminer les choses à un accommodement, si la France veut bien nous déposer ses sentimens relativement à une paix. Je dois dire en secret que la cour de Vienne accuse MM. d’Argenson et un faux système qu’ils auraient adopté d’être cause qu’on n’en pourrait venir à un accommodement[1]. »

Maurice, on l’a déjà bien vu, malgré l’ardeur bouillante qui lui

  1. Le comte de Brühl à Maurice de Saxe, 8, 16 novembre 1746. (Vitzthum, p. 87-94.