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donnait, à certains momens, l’air d’un emportement étourdi, n’était pas homme à se lancer sans réflexion dans une affaire délicate. Les lettres du comte de Brühl le rejoignirent à Versailles, où il était attendu, et fut reçu avec un accueil qu’on s’efforça de rendre aussi brillant que celui de l’année précédente. A la suite de sa première audience, il faisait partir un courrier, chargé d’une expédition qui réglait tous les moindres détails de l’ambassade extraordinaire. Il y joignait lui-même un énorme paquet pour le roi et la reine de Pologne, destiné à aller au-devant de toutes les inquiétudes que de tendres parens pouvaient éprouver à la veille de se séparer d’une fille très aimée. Il y parlait de tout, d’abord du caractère de toutes les personnes de l’intérieur royal avec qui la nouvelle mariée aurait à vivre, — y compris celle qui devait à la beauté et à l’amour la plus grande, bien que la moins légitime des influences, — puis des moindres étiquettes, des robes et des pierreries, des fourrures, de ce qu’on trouverait dans le trousseau et de ce qu’il conviendrait d’apporter ; enfin des vains efforts qu’il faisait pour obtenir qu’on laissât à la princesse au moins sa femme de chambre et son confesseur (points sur lesquels, dit-il, j’ai été repoussé à la barricade).

Après tant de pages griffonnées à la hâte, il ne lui restait plus « que quelques instans, écrivait-il à Brühl, pour répondre aux deux lettres dont Votre Excellence m’a honoré, et qui demandent un détail réfléchi. La cour de Vienne pourrait bien ne pas se tromper tout à fait, Basta ! Je prie Votre Excellence d’être persuadée que je suis avec elle comme on est avec une coquette aimable, on se brouille avec elle souvent, mais on se raccommode et on s’aime toujours… Je vous ai toujours aimé tendrement, et pourrai vous chanter cette chanson de M. le duc d’Orléans :


Reviens, Philis, à cause de tes charmes,
Je ferai grâce à ta légèreté[1]. »


Rien n’était plus encourageant, et effectivement la lettre de Brühl était arrivée au bon moment. D’une part, en effet, Maurice revenait très fatigué des entraves qu’on avait mises à l’essor de sa brillante campagne. A aucun prix il ne voulait recommencer dans de pareilles conditions, et il accusait, comme tout le monde, de la gêne qu’il avait subie, la politique indécise de d’Argenson et ses ménagemens pour les bourgeois d’Amsterdam. Son bon sens naturel, d’ailleurs, lui faisait comprendre qu’à tant faire que vouloir

  1. Maurice de Saxe au comte de Brühl, 1er décembre 1740. (Vitzthum, p. 104.)