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Assemate (gentilhomme de la vénerie). Si j’étais actuellement dans la même situation où je me trouvais il y a sept ou huit ans, c’est-à-dire simple courtisan, je n’aurais pas sujet de me plaindre, mais puisqu’il faut parler de soi, si l’on veut examiner ce que j’ai fait depuis la prise de Prague, je crois qu’on pourra dire que j’ai ranimé le courage et la valeur des troupes françaises qui paraissaient un peu endormies. Qu’on les examine à Dettingue et à Fontenoy, et on verra si le même esprit règne dans l’armée. C’est peut-être pour me flatter qu’elles prétendent être invincibles quand je suis à leur tête, mais au moins les ennemis du roi craignent-ils d’être battus lorsque je commande une armée vis-à-vis d’eux. Je sais le respect qui est dû aux princes de la maison de France et je ne m’en écarterai jamais : que le roi les déclare tous généralissimes de ses armées au berceau, je n’ai rien à dire ; mais que M. le prince de Conti ait acquis ce titre en récompense de ses services, je crois avoir droit de me plaindre. Après cela j’aime le roi et je dois exécuter ses ordres : quand il voudra que je marche, il faudra bien marcher, mais dans le fond qu’ai-je à espérer ? J’ai plus de bien qu’il ne m’en faut : j’ai tous les honneurs que je puis désirer. Si les affaires de l’état devenaient pressantes à un certain point, je crois pouvoir dire qu’on aura recours à moi. Je souhaite que cette situation malheureuse n’arrive jamais, et qu’on veuille bien me laisser jouir d’un repos dont ma santé a besoin. Je n’ai qu’à perdre ; un événement malheureux flétrit les lauriers. On prétend m’avoir l’obligation du mariage de M. le dauphin… Cela n’est pas juste, le roi l’a fait parce que cela lui a convenu, je n’y ai point de mérite[1]. »

Des sentimens si peu dissimulés ne pouvaient rester ignorés de ceux qui avaient intérêt, soit à les entretenir, soit à les calmer. Des amis de d’Argenson (du comte, au moins, car le marquis n’en avait guère à la cour) essayèrent bien d’intervenir, et le marquis de Valions qui était du nombre et qui avait si bien travaillé dans la querelle du comte de Clermont, se vante dans ses Souvenirs d’avoir obtenu un succès pacifique du même genre en ménageant au maréchal une entrevue avec le ministre, où une compensation lui lut promise et qui finit en assez bons termes. Mais Valfons convient lui-même que ce ne fut qu’un replâtrage, et la plaie était encore très vive, comme on va le voir, dans le cœur de Maurice, quand il dut recevoir la visite que ne pouvait manquer de lui faire d’ambassadeur extraordinaire partant pour Dresde.

Richelieu, contre son ordinaire, était fort ému ce jour-là. Il

  1. Luynes. t. VIII, p. 27, 28.