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régime arbitraire, qu’il maintenait si obstinément, blessait le sentiment des classes moyennes. Il devenait évident, d’ailleurs, que le roi et son conseiller entendaient disposer des destinées de la Prusse sans la participation de ses représentans. Le pays s’alarmait et les journaux de toutes les nuances libérales entretenaient une agitation passionnée, violente, qui se traduisit, à la veille de la guerre, par un attentat contre la personne du premier ministre.

Pendant que les hommes éclairés, les politiques, notamment, combattaient pour les institutions parlementaires, s’appuyant sur le sentiment unanime de la nation, la classe aristocratique appréhendait, sans dissimuler son inquiétude, un conflit avec l’Autriche. L’union des deux grandes puissances germaniques, fondée par les victoires qu’elles avaient remportées sur l’ennemi héréditaire, et remontant à 1815, était envisagée, dans les rangs de la noblesse, comme la plus précieuse des garanties pour l’Allemagne entière. Elle la préservait contre toute invasion, qu’elle vînt des idées nouvelles et de la révolution ou bien qu’elle fût tentée par un ambitieux voisin convoitant les bords du Rhin. On se persuadait que la guerre avec l’Autriche ouvrirait l’ère de tous les périls.

Sous l’empire de ces convictions diverses, il s’établit une sorte d’alliance involontaire entre toutes les opinions, entre tous les partis, à la cour comme à la ville, dans la presse comme dans les salons, pour conjurer les malheurs que l’on croyait entrevoir. M. de Bismarck était honni en tout lieu, dans la société et au palais aussi bien qu’au parlement. On ne se borna pas à le dénoncer comme un danger public, à considérer une lutte avec l’Autriche comme une guerre fratricide qui mettrait tous les pays germaniques à la merci de l’étranger, on fit le siège du roi pour le déterminer à se séparer d’un ministre qui conduisait le royaume à une perte certaine. Les suggestions les plus pressantes l’assaillirent de tous côtés ; il en trouvait l’écho dans le sein de sa famille. La plupart des princes, la reine elle-même, se faisaient les interprètes des alarmes qui éclataient partout, à Berlin, dans les provinces, dans toutes les cours de l’Allemagne.

Une âme moins ferme, une ambition moins solide eût fléchi devant ces universelles clameurs. Le roi fut inébranlable. Il ne s’émut ni devant le danger intérieur, ni devant les périls, autrement graves, auxquels il exposait, croyait-on, l’intégrité du royaume. Il ne tint compte ni des craintes que la nation témoignait, ni des récriminations qu’elles inspiraient, si vives et si générales qu’elles fussent. Il imposa le silence autour de lui[1] ; il s’appliqua à

  1. La reine notamment, qui évitait ostensiblement de rencontrer M. de Bismarck, surtout de s’entretenir avec lui, dut modifier son attitude et s’abstenir désormais de manifester ses opinions personnelles.