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dissimulation et une persévérance que rien n’avait découragées, devenait l’initiateur de la guerre. Le roi de Prusse avait atteint son but, celui qu’il poursuivait personnellement contre le gré et contre les avis réitérés de ses généraux et de son premier ministre. Il lançait les armées en Saxe et en Bohême, à l’heure propice et opportune, en déclinant la responsabilité de ce redoutable conflit. Il n’était plus, du moins, l’unique perturbateur de la paix ; il pouvait, dans ces conditions, affronter la désapprobation des autres cours et le mécontentement de l’opinion publique.

Nous le retrouvons dans cette même voie, avec les mêmes préoccupations, les mêmes calculs, durant la période qui a précédé la guerre de 1870. La conquête des pays réunis à son royaume en 1866 n’avait pas satisfait son ambition. Les faciles et brillans succès remportés contre l’Autriche l’avaient au contraire vivement aiguillonnée. La confédération du Nord de l’Allemagne, issue du traité de Prague, n’était déjà plus qu’une œuvre d’attente ; il fallait la compléter par l’addition des états du sud et relever l’empire germanique au profit de la maison des Hohenzollern. L’obstacle n’était pas sur le Mein, cette limite factice et manifestement temporaire ; il était à Paris. On ne fut pas longtemps à le reconnaître, et à se convaincre que, pour achever l’édifice, il fallait entreprendre une nouvelle guerre. Le roi l’envisagea, dus le premier jour, comme une éventualité inévitable, et avec plus de résolution que M. de Bismarck lui-même[1]. Des incidens divers, dont nous pourrions évoquer le souvenir, autorisent à le penser. Nous bornant, pour le moment, à déterminer le rôle de deux hommes dans la préparation des grandes choses qu’ils ont accomplies, nous nous en tiendrons ici à rappeler que, sous l’impulsion personnelle du roi, quand la paix avec l’Autriche n’était pas encore définitivement conclue, on entreprit et on continua sans relâche la réorganisation de l’armée ; elle devait comprendre désormais les effectifs des contrées annexées et ceux des états récemment confédérés à la Prusse. Le nombre des corps d’armée était porté de neuf à douze, et les actes officiels établissaient que la confédération de l’Allemagne du Nord pourrait mettre en ligne, dans un nouveau conflit, plus de 1 million de soldats. Le roi entendait s’en réserver, avec le commandement suprême, la libre disposition.

Il fallait toutefois se concerter avec les états confédérés, stipuler

  1. Si constante que fût sa circonspection, le roi, à l’ouverture des sessions législatives, faisait entendre, plus d’une fois, en les adressant à l’Allemagne, aux peuples frères, à la terre que bornent les Alpes et la Baltique, des allusions qui faisaient tressaillir, disaient les journaux officieux, le cœur de tous les patriotes dans l’attente des événemens prochains.