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du roi[1]. « Il avait déjà regretté certainement de ne pas avoir été autorisé à briser toutes les relations avec la France dès le 6 juillet en prenant prétexte du langage tenu par le ministre des affaires étrangères devant le corps législatif. Il avait voulu y déterminer le roi ; tout porte à le croire. Mais le roi, éclairé par les sollicitations qui lui étaient directement adressées à Ems, par l’émotion irritée qui se manifestait partout et dont la presse se faisait l’interprète en termes violens, s’y était refusé absolument. Cette occasion perdue, le chancelier en trouvait une autre, celle que le roi lui avait si habilement ménagée : et nous venons de dire avec quel empressement il la saisissait, de quelle manière il usait de la liberté d’action qui lui était rendue.

On a prétendu que la candidature du prince Léopold n’avait jamais été, dans la pensée de ceux qui l’ont préparée, qu’un piège tendu à notre fierté, à notre susceptibilité nationales, toujours si faciles à égarer. La conjecture n’est certes pas dénuée de fondement. Ce que M. de Bismarck en a dit à l’ambassadeur de France en 1869, l’habitude qu’on avait à Berlin de moyens qu’on ne saurait qualifier de procédés diplomatiques, autorisent à le penser. Mais, si le piège a été dressé par le ministre avec le consentement du souverain, qui l’a tenu dans sa main à l’heure décisive ? Qui l’a savamment déguisé, qui a su y attirer la France ? Le roi, le roi seul et sans l’aide de son ministre.

Une si ferme volonté, une si lucide prévoyance, une persévérance si robuste peuvent-elles avoir été l’apanage d’un prince toujours irrésolu, toujours timide ? Il n’est pas un écrivain cependant qui ait raconté ces événemens si proches de nous, sans attribuer à M. de Bismarck l’initiative et la direction en toute chose, en toute occasion ; sans se montrer convaincu et sans vouloir persuader à ses lecteurs que le ministre a tout conçu, tout exécuté ; sans affirmer enfin qu’il a déployé plus d’efforts pour rallier son maître à sa politique qu’il ne lui a fallu de peine pour en assurer le succès. Il est vrai que les doléances ou plutôt les lamentations de l’irascible président du conseil ont été recueillies par la diplomatie aussi bien que par la presse. La correspondance des agens résidant à Berlin à cette époque, qui a été publiée et qu’on a pu consulter[2], en est en quelque sorte l’écho quotidien. Elle révèle la résistance que le monarque oppose au ministre, les difficultés que celui-ci rencontre pour l’entraîner, pour vaincre ses scrupules et ses superstitions.

  1. Dépêche de lord Granville à lord Lyons, à Paris, en date du 15 juillet. — (Mêmes documens.)
  2. Voir notamment les rapports du général Govone, le négociateur du traité prusso- italien, dans Un peu plus de lumière, par le général de La Marmora.