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Ces plaintes, ces affirmations de M. de Bismarck, exactes en ce sens que le roi refusait de se hâter, erronées au fond, que l’on retrouve dans tous les documens officiels, n’ont pas peu contribué certainement à égarer, avec l’opinion publique, les publicistes qui, en toute conscience d’ailleurs, ont entrepris d’ébaucher l’histoire de notre temps.

Assurément, le roi voulait être entraîné, mais par la force occasionnelle et factice des choses, et nullement par la pression de ses conseillers. Il voulait paraître n’avoir oublié ni ses idées ni ses scrupules ; il voulait garder, intacte et pure de toute souillure, son auréole de prince de droit divin ; il voulait surtout paraître respectueux des droits souverains des princes ses confédérés pendant qu’il préméditait de les dépouiller ; et tout l’art de M. de Bismarck, disons, si l’on veut, tous ses artifices, n’ont pu le déterminer à entreprendre la guerre avant qu’il la jugeât autorisée par les circonstances. Comme en 1866, Guillaume Ier a voulu pouvoir hardiment affirmer, en 1870, qu’il n’était pas l’agresseur, qu’il prenait les armes uniquement pour couvrir son pays contre une invasion ennemie ; et l’on vient de voir que, par son action personnelle, il y est encore mieux parvenu la seconde que la première fois.

Comment ce roi qui a résisté, sans jamais fléchir, aux instances de sa famille, de ses serviteurs les plus dévoués, de tous les princes de l’Allemagne, ce roi qui a entendu les principales villes de son royaume, le parlement, la presse, le pays tout entier protester contre une politique qu’on lui dénonçait comme périlleuse et insensée, comment ce souverain, si tenace et si obstiné, eût-il pu obéir si aveuglément et avec tant de servilité à la direction d’un ministre impérieux ? S’il en eût été ainsi, l’histoire se trouverait en présence d’un cas de psychologie que toutes les investigations de la science moderne auraient de la peine à expliquer. Le roi a démenti l’existence du traité conclu avec l’Italie, et nous avons dit dans quel dessein ; mais il l’a signé, il l’a ratifié en parfaite connaissance de cause ; et c’est vraiment abuser de la crédulité publique que de prétendre qu’il n’en mesurait pas toute la portée, qu’il a été séduit ou trompé par M. de Bismarck, qui le lui aurait présenté comme étant uniquement destiné à faire réfléchir l’Autriche. Pas plus que l’homme de fer, il n’espérait expulser l’Autriche de l’Allemagne par l’intimidation et sans l’emploi de la force ; et cet esprit, que l’on représente incertain et flottant, ne sachant pas à quelles extrémités on le conduisait, s’y préparait sans relâche, malgré tous les efforts faits autour de lui pour l’arrêter dans la voie où il était engagé. Il connaissait les relations que M. de Bismarck avait nouées en Italie, à Bucharest, à Pesth,