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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/86

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s’en exprima avec l’envoyé de France à Lisbonne, dans les termes les plus sévères, et ce fut dans tout le monde diplomatique d’Europe un concert contre le ministre français, qui, au moment même où s’ouvrait sur sa demande une conférence solennelle à Breda, cherchait sous main à lui dérober la matière même de ses délibérations[1].

Rien n’était moins juste, car, tandis que d’autres ne se gênaient nullement pour agir dans l’ombre, lui n’était coupable que d’avoir parlé trop tôt et trop haut ; mais le malheur voulait que ceux qui auraient dû justifier ou du moins expliquer sa conduite, ses propres agens, étaient occupés à tout autre chose qu’à le défendre. A Madrid, quand la reine l’accusait, c’eût été à Vauréal à plaider sa cause, mais on a vu quel avocat il avait désormais dans ce prélat intrigant. A Lisbonne, c’était pis encore, il n’était représenté que par Chavigny, le même dont il avait méconnu les services à Munich et qui, relégué par lui dans ce poste reculé, lui en voulait mortellement de cette disgrâce : « C’est un homme, disait Chambrier, que d’Argenson hait et craint. » — Les deux agens, liés de longue date par une amitié commune avec Belle-Isle, l’étaient maintenant par leurs ressentimens, et profitaient de leur voisinage pour entretenir une correspondance toute pleine d’invectives contre leur chef commun où respirait l’attente impatiente de la chute que tout le monde annonçait. D’Argenson n’était jamais nommé entre eux que par ces appellations, notre homme, le fou, le fanatique que vous savez.

Vauréal surtout, tenu au courant jour par jour par ses relations à Versailles, élève le ton à mesure que la crise approche et s’apprête ouvertement à porter le dernier coup à son ancien ami : — « Je n’ai point encore passé le Rubicon, écrit-il le 2 décembre, mais selon la réponse que je vais recevoir sur certains points, je me déclarerai tout à fait. » — Et, effectivement, quelques jours après, il se déclare en morigénant son ministre sur un ton qui fait voir qu’il ne conserve plus aucun doute. Il lui dit sans détour qu’il n’a pas pu faire accepter un mot de sa justification sur la négociation engagée avec le Portugal : — « Pour vous dire la vérité, ajoute-t-il dans sa lettre officielle, je ne comprends ni le sujet du mystère, ni l’utilité de cette négociation qui donne au roi de Portugal un air d’importance qu’il ne peut pas soutenir, au lieu qu’il était auparavant dans l’habitude de penser que c’était lui qui avait besoin de la médiation du roi pour ses affaires particulières avec cette cour-ci. Je regarde cette anecdote comme une des choses qui, sans pouvoir produire aucun fruit,

  1. Journal et mémoires de d’Argenson, t. V. p. 38, 42. — Note de d’Acunha, ministre de Portugal à Paris, 20 novembre, et lettre de d’Argenson à d’Acunha, 29 novembre. — Conversation du cardinal de Molla avec Chavigny, ministre de France à Lisbonne, 27 décembre 1746. (Correspondance de Portugal. — Ministère des affaires étrangères.)