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sont le plus capables de nous décréditer en donnant à penser que nous cherchons toute sorte de chemins et que dans nos recherches notre premier soin est de nous cacher de l’Espagne : cela est certainement aussi contraire à votre intention qu’aux assurances que vous m’en donnez tous les jours. Cependant, le malheur a voulu que, depuis, la mort de Philippe V, Leurs Majestés très chrétiennes ont toujours cru avoir des raisons de s’en plaindre[1]. »

Et rendant compte à Chavigny de cette démonstration impertinente : — « Je ne m’étonne pas, dit-il, de n’être cru ici par personne, car on y tient notre homme pour le plus grand menteur du monde. » — Puis se moquant des négociations diverses engagées sur tous les terrains à la fois : — « Voilà, mon cher confrère, comment procède notre marquis ; on dit qu’il est bon d’avoir plusieurs cordes à son arc, je ne pense pas qu’il faille l’entendre de cette façon. »

Dans la même lettre, pour n’épargner à d’Argenson aucun désagrément et lui donner des leçons de convenance diplomatique, il lui reproche de communiquer à la reine d’Espagne le texte même des dépêches de ses agens, entre autres de Puisieulx : — « Il y a peu d’amis, dit-il, à qui on puisse confier ainsi l’intérieur de son ménage… Croiriez-vous que la reine m’a demandé ce que c’était qu’un soliveau (c’était le mot dont Puisieulx s’était servi pour qualifier le rôle de lord Sandwich à Breda) et si c’était là un mot dont on pût user avec un ministre étranger. »

J’ai le regret de constater qu’à ce langage d’une si audacieuse impertinence, d’Argenson ne répondit pas cette fois avec le ton de noblesse et de fierté qui lui était habituel. Loin de se fâcher, il se justifie : — « Je n’ai certainement ni ordre, ni dessein de vous cacher aucune chose, monsieur, si cela arrive, je vous en fais de bon cœur mes excuses et elles tomberont plus sur mes omissions que sur mes intentions. On ne saurait pousser plus loin que je ne fais une confiance dans votre habileté et dans votre amitié que je désire plus que jamais sans doute et sans nuage[2]. » — Étrange excès d’illusion ! si elle était sincère, qu’aurait-il donc fallu pour la dissiper ?

Une autre résolution, celle-là très sagement prise, avait eu aussi pour effet de créer à d’Argenson, au lieu d’un défenseur qu’il aurait pu se ménager, un puissant ennemi de plus. Au moment où l’hostilité du maréchal de Saxe contre son frère et contre lui devenait apparente, une habileté vulgaire lui aurait conseillé de se

  1. Vauréal à Chavigny, 2, 9 décembre, — à d’Argenson, 17 décembre 1746. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. D’Argenson à Vauréal, 30 décembre 1746.