Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/871

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trop ostensible à la guerre odieuse qu’une minorité sectaire dirige contre les croyances de la majorité de la nation, cela est possible. Mais il ne faudrait pas oublier cependant qu’elle fait avec libéralité participer beaucoup d’œuvres chrétiennes au bénéfice de ses accaparemens. En tout cas, ces griefs ne suffiraient pas à justifier la violence, la grossièreté, et sur beaucoup de points l’injustice des attaques auxquelles cette race se trouve en butte aujourd’hui. Cette guerre emprunte quelque chose de plus coupable encore à la couleur religieuse dont on s’efforce de la revêtir. Sans compter qu’au lieu de voir l’ennemi chez le juif, les peuples monothéistes devraient plutôt saluer l’ancêtre, c’est donner en tout cas une singulière preuve de christianisme que de poursuivre de sa haine ceux-là mêmes auxquels, sur sa croix, le Christ a pardonné.

Si c’est devoir de ne pas attiser les colères de ceux dont on veut soulager les souffrances, c’est également prudence de ne pas entretenir chez eux des espérances qu’on se trouverait impuissant à réaliser. Il n’est pas sage de faire luire à leurs yeux l’aurore d’un nouvel état social qui différerait profondément de l’ancien et de promettre au quatrième état qu’avant la fin de ce siècle il verra s’opérer dans sa condition une transformation analogue à celle que la Révolution française a opérée dans la condition du tiers. La Révolution a pu, avec plus ou moins de profit définitif pour la grandeur de la France, briser les cadres factices d’une société déjà ancienne, et à cette organisation vieillie substituer une organisation nouvelle où les droits politiques fussent plus équitablement répartis. Mais ce qu’on commence précisément à lui reprocher de ne pas avoir fait, c’est-à-dire de n’avoir pas transformé la condition matérielle et assuré le bien-être du plus grand nombre, elle ne pouvait pas le faire. Elle ne le pouvait pas parce que les lois sociales ne sont pas factices comme les lois politiques ; elles découlent d’une nécessité inéluctable et d’une dispensation mystérieuse que l’homme est impuissant à changer. « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » est à la fois une sentence divine et une vérité économique dont les conséquences douloureuses doivent être tempérées par la charité et adoucies par la résignation. La révolution sociale ne serait pas aujourd’hui, suivant une heureuse expression, « une de ces opérations douloureuses dont l’humanité extrait un peu plus de justice. » Ce serait un bouleversement qui entasserait ruines sur ruines et dont l’humanité ne pourrait extraire que souffrances. Ce n’est donc pas à préparer cette révolution qu’il faut convier les hommes de bonne volonté qui s’offrent pour travailler à la grande cause du progrès. Qu’on se garde surtout de donner cette chimère en pâture à la jeunesse et à ses généreuses ardeurs. Depuis le commencement de cette année beaucoup d’éloquentes paroles ont été