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précieux : il faudra s’en souvenir si l’on veut apprécier la sincérité des chansons d’amour du temps. Quand, dans ses nombreuses chansons conservées, Adam prendra les attitudes des mourans d’amour, quand il chantera ses « douces douleurs, » sa « souffrance jolie, » et cette dame qu’il doit aimer « dus qu’au morir, » nous saurons ce qu’il veut dire. Le troubadourisme n’est pas une invention de Raynouard ; les poètes lyriques du moyen âge, imitateurs des Provençaux, ont, en fait, assez sensiblement ressemblé aux troubadours popularisés par l’école romantique. Ils ont bien été « ces amans passionnés et timides » dont parle Raynouard, « qui ne demandaient à l’amour que l’amour même, qui, dans leur résignation touchante, préféraient la gloire de souffrir auprès de leurs dames au bonheur qu’ils eussent pu trouver auprès des autres. » Mais, quand nous lirons leurs vers, nous nous souviendrons de Marie, la femme d’Adam. Encore ne faut-il pas se hâter de s’indigner : peut-être ces poètes étaient-ils aussi sincères dans leur jargon amoureux que dans leurs grossièretés ; il ne serait pas difficile de montrer, par des exemples empruntés aux plus aristocratiques romans du temps, quelle incroyable évolution a subie, depuis cinq cents ans, le sentiment de la pudeur.

Mais il faut de l’argent pour étudier à Paris, et le père d’Adam, Maître Henri, prototype des Gérontes de nos comédies, vient protester qu’il n’est qu’un « vieil homme plein de toux, infirme, et plein de rhume et fade » et qu’il n’a pas le sou. Sa véritable maladie, une sorte de charlatan ambulant qui passe par la foire la lui révèle : c’est l’avarice. Et c’est prétexte au « fisicien » pour énumérer combien il connaît dans Arras de malades atteints de ce mal : c’est Robert de Cosiel, et c’est Bietu le Faveriel, et les deux Ermenfrois et plus de dix mille autres. Qui sont tous ces personnages qui passent devant nous, évoqués dans un vers ironique ? Qui est-ce qu’Adam le Hanstier ? Qui est Guillaume Wagon et qui Jean d’Auteville ? Qui est Rikier Amion, « bon clerc et subtil en son livre ? » Ces personnages, nous les connaissons à peine par quelque renseignement venu d’ailleurs ; nous savons, par exemple, que les Wagon étaient une puissante famille artésienne : Baude Fastoul cite, dans son Congé, Guillaume, ainsi que Simon Wagon. Nous savons de même qu’il a existé un chansonnier nommé Rikier Amion, et que cette famille a compté plusieurs poètes : Nevelot Amion, dont il nous reste un « dit d’amours ; » Henri Amion, qui a laissé plusieurs jeux partis, etc. Ce ne sont là que d’insuffisantes indications, comme de vagues scolies au bas d’une page d’Aristophane, qui ne nous permettent plus de saisir le comique des allusions. Mais nous pouvons imaginer quels éclats de rire faciles