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destruction, tant individuelle que collective des intrus, fut d’abord tentée ; mais elle parut tout à fait impuissante à leur inspirer une frayeur capable d’arrêter l’élan général qui présidait à l’invasion de la tribu, et il fallut recourir à des procédés moins élémentaires pour y mettre un terme. Je pensai qu’il suffirait de faire disparaître l’objet vers lequel tendait cette multitude, en rendant le sycomore inaccessible. J’y parvins sans peine en enduisant le tronc, circulairement et au voisinage du sol, au moyen d’une large couche visqueuse de goudron mélangé de pétrole, avec addition de phénol et d’aniline, mixture qui rendait le goudron moins siccatif et plus pernicieux. En même temps, le toit fut balayé des débris de fleurs, de feuilles, et aussi des fourmis qui le couvraient, et l’on y projeta du soufre en poudre, matière destructive des fourmilières, comme Aristote le savait déjà. A l’instant, grande agitation parmi les fourmis répandues dans l’arbre et qui ne pouvaient plus en descendre, ainsi que parmi celles du toit, qui avaient reparu presque aussitôt après le balayage. Pour augmenter leur effroi, je fis écraser une à une les nouvelles arrivantes. Plusieurs centaines périrent ainsi en quelques minutes, mais sans résultat : aucune terreur panique ne se déclara, qui fit fuir les insectes en masse. Celles de l’arbre, ne pouvant plus franchir le fleuve de goudron, se laissaient tomber d’en haut sur la terre, la dureté de leur enveloppe cornée atténuant une chute que la petitesse de leur masse empêchait d’être bien violente. Quant aux fourmis que l’on continuait à écraser systématiquement avec un morceau de bois, elles se redressaient contre l’instrument meurtrier et lui présentaient leurs mandibules, en projetant un liquide corrosif. Cependant elles apercevaient l’ennemi qui les décimait. Chaque fois que je m’approchais, les fourmis qui couraient s’arrêtaient subitement, pour s’enfuir ensuite à toute vitesse. La multitude en marche ne tarda pas à diminuer : mais ce n’était qu’une apparence. En réalité, elles avaient passé sous les tuiles, et elles continuaient à cheminer le long des chevrons ; dès que l’on s’éloignait, elles reparaissaient au jour en nombre, avec une ardeur surexcitée par les rayons solaires qui donnaient sur le toit.

J’avais mieux auguré de ces procédés de destruction : l’an dernier, en effet, nous avions réussi à détourner par une méthode analogue une première tentative d’invasion, qui s’était arrêtée après une journée. Mais les populations barbares, ennemies de l’empire romain, que Probus et Aurélien avaient repoussées et massacrées, les arrêtant ainsi dans leur première tentative d’invasion, ne recommencèrent-elles point quelques générations après, avec plus d’ensemble et d’énergie, réussissant cette fois à pénétrer au cœur de l’empire et à en accomplir le pillage et la destruction ?

Les fourmis n’avaient pas montré moins d’obstination ; détruites