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On aurait tort, en effet, de ne pas désarmer, et d’accueillir une Zaïre avec la même sévérité qu’un Dante. On doit quelquefois avoir deux poids et deux mesures et ne jamais refuser à des débuts, modestes mais honorables, ni le crédit ni les délais. M. Véronge de la Nux aura peut-être beaucoup de talent. N’en faut-il pas un peu déjà pour écrire deux actes d’opéra ?

Après quelques soirées sévères, on avait besoin de s’amuser à tout prix. On s’en est donné à cœur joie chez M. Paravey où la Basoche a très brillamment réussi. Je n’ai jamais si bien compris qu’en assistant à cette représentation, écrivait un de nos confrères, ce qui distingue l’opéra comique de l’opérette. Nous de même, et jamais non plus nous n’avons si vivement regretté d’entendre une partition commencer, que dis-je, se soutenir presque tout un acte comme un délicieux opéra comique, pour tourner et finir en trop facile et trop légère opérette. Mais, dira-t-on, qu’est-ce donc qui distingue l’opéra comique ? Une nuance, un rien, mais quelque chose pourtant, sinon dans la quantité, du moins dans la qualité de notre plaisir. Ce rien ne permet pas de rire du même rire en écoutant la Petite Mariée et le Roi l’a dit, le Tableau parlant et l’Ile de Tulipatan. L’opérette, dit-on encore, est un succédané de l’opéra comique. Fort bien, mais ce vilain mot n’implique-t-il pas justement une idée d’infériorité et de décadence ? — Auber enfin, Auber est parent de M. Lecocq. — Parent éloigné, et la Fille de Mme Angot elle-même n’a pas détrôné le Domino noir. Et puis Auber, malgré tout son talent, n’est pas le premier, il s’en faut, dans la maison des Grétry et des Boïeldieu, dans un genre dont on se moque en ce moment, mais pour lequel ceux qui se vantent de le mépriser le plus, trouvent des cris d’admiration et des larmes de tendresse, dès qu’un de leurs favoris daigne y condescendre, quitte à descendre même un peu plus bas qu’il ne faudrait. Rien de plus divertissant que de voir les plus avancés d’entre nous, les éclaireurs et même les incendiaires, allumer leurs torches sacrées à la moindre lampe, pourvu qu’elle brûle dans une de leurs chapelles et crier à la fois : « Haro » sur la Dame blanche, et, pour la Basoche : « Hurrah ! »

A Paris, sous le règne de Louis XII, devant l’hostellerie du Plat d’Etain, les clercs du Parlement procèdent à l’élection de leur roi pour rire. C’est le plus savant qu’on doit nommer : le plus savant en gai sçavoir et gentil langage, celui qui rime et chante le mieux. Clément Marot, tout jeune et déjà poète, triomphe d’un rival pédant et jaloux : il est proclamé roi. Mais le roi, de par les statuts de la Basoche, doit être célibataire. Or Clément s’est marié en secret et voici sa femme Colette, gentille pastourelle, venue de Chevreuse à Paris pour le chercher. Au milieu des clercs et des étudians, elle retrouve Clément et le reconnaît, ou plutôt elle va le reconnaître ; mais, sur un regard de lui,