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que personne n’ose avouer sa pensée, que tout le monde se réserve, qu’on cherche encore à s’abuser mutuellement, et M. le ministre de l’intérieur lui-même va dans la Dordogne prononcer des discours où il se livre aux plus curieuses variations sur la politique du jour. M. le ministre de l’intérieur est un habile homme qui met de la bonhomie dans son langage, au besoin de la résolution dans ses actes, et qui a tout l’air de jouer avec les partis pour finir par se moquer de tous. Son dernier discours de Périgueux est certes un morceau d’une originalité précieuse qui dira tout ce qu’on voudra, et même, si l’on veut, ne dira rien.

M. Constans veut une « sage et bonne république, » point « tracassière, » point « fermée, » une république « ouverte, » — mais à la condition qu’on y entre comme dans une prison, en commençant par baisser la tête et par donner des gages. Il veut de « l’union, de la conciliation, » — mais au « profit du parti républicain, » qui n’est pas d’humeur à céder le pouvoir ni même à le partager. Il ne demanderait pas mieux que d’accueillir en bon prince, sans façon, les minorités repentantes, sauf à ajouter lestement qu’après tout, on n’a pas besoin de leur concours, — comme si on se passait du concours de minorités qui représentent la moitié du pays, comme si M. le ministre de l’intérieur lui-même n’avait pas été trop heureux de trouver ce concours dans les derniers votes ! Ce sceptique met toute sa dextérité à brouiller les choses, à déguiser ce qui n’est peut-être encore que l’art de faire de l’ordre avec du désordre. Qui donc dira le mot, le vrai mot qui ouvrira à la France lasse de violences, de mécomptes et de subtilités, la voie franche et large où elle trouvera une politique réellement faite pour rallier toutes les bonnes volontés, non plus « au profit d’un parti, » mais dans l’intérêt souverain de la nation ?

Les événemens si imprévus, si extraordinaires, qui ont passé pour ainsi dire comme un orage sur l’Europe depuis quelque temps, n’ont sûrement pas dit leur dernier mot. Ils n’ont pas d’abord troublé ni compromis la paix générale ; ils l’auraient plutôt servie, au contraire, en diminuant les chances de conflits, en ouvrant aux esprits d’autres perspectives, cela est certain, c’est un premier avantage. Quels seront, après cela, les résultats définitifs de ces soubresauts de politique, de ces coups de théâtre qui se sont succédé, de cette brusque révolution d’influence qui s’est accomplie à Berlin et s’est fait sentir dans les affaires du monde ? Ici s’ouvre une carrière nouvelle où tout est conjecture, où l’on peut tout prévoir, parce que tout est possible, parce que les conditions, les hommes, les idées, les mobiles, ne sont plus ce qu’ils étaient naguère. La disparition de M. de Bismarck, de ce reclus qui ne se résigne pas facilement à se taire, et dont les indiscrétions commencent à devenir importunes, cette disparition n’est pas seulement un fait, elle est un symptôme. Il est certain, dans tous les