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de rappeler que le modèle en terre existait en 1501 encore, mais qu’il ne tarda pas à être détruit, partie par les intempéries, partie par la soldatesque étrangère campée à Milan.

Le Cavallo a péri irrévocablement, et aucun dessin ne nous permet même d’entrevoir ce qu’a pu être cette création de génie. Aussi bien, à mon avis, est-ce ailleurs qu’il faut en chercher le reflet; les fondeurs de bronze, si ardens pendant toute la première renaissance à multiplier les chefs-d’œuvre, antiques ou contemporains, n’auraient-ils pas été tentés par cette merveille, eux qui nous ont laissé par douzaines la reproduction de la statue équestre de Marc-Aurèle! Padoue et Vérone, foyers de l’art du bronze, Venise même n’étaient pas si éloignées de Milan que les épigones de Donatello, les Vellano et les Riccio, ou ceux de Verrocchio, les Leopardi et les Lombardi, n’aient pu connaître de visu ou par des maquettes la statue équestre de Fr. Sforza. Cette piste, jusqu’ici négligée, était la bonne. Le lecteur peut juger de mon saisissement lorsque je me trouvai face à face, il y a peu de semaines, dans un des plus somptueux hôtels du boulevard Haussmann, avec une statuette de cheval, libre, souple, vivante, fière et inspirée, comme seul le Cavallo de Léonard a pu l’être. L’honneur d’avoir conquis pour la France ce morceau merveilleux, on serait tenté de dire miraculeux, revient à Mme Edouard André, qui, après avoir créé tant d’admirables portraits, alors qu’elle s’appelait Mlle Nélie Jacquemart, s’ingénie aujourd’hui avec autant de sagacité que de patriotisme à recueillir pour notre pays les plus purs chefs-d’œuvre de la renaissance italienne. La haute valeur de la statuette, en bronze doré, qu’elle a découverte à Venise, n’a pas échappé à sa clairvoyance d’artiste, et elle n’a pas hésité à la baptiser du glorieux nom de Léonard, attribution que tout connaisseur impartial ratifiera. La souplesse et la liberté infinies que seul Léonard savait donner à ses créations, son habileté à présenter ses sculptures de telle façon qu’elles parussent également belles, sous quelque aspect qu’on les envisageât, sa science approfondie des proportions, se trouvent au suprême degré dans ce bronze.


En tant que peintre, Léonard reçut tour à tour la commande de décorations improvisées, destinées aux fêtes, de portraits, de tableaux de sainteté, de peintures ornementales, et enfin d’une page monumentale, la Sainte Cène.


Le mariage de Blanche-Marie Sforza aurait fourni à Léonard, d’après une tradition accréditée jusqu’à ces derniers temps, l’occasion de peindre le merveilleux portrait de la Bibliothèque Ambrosienne, cette jeune femme de profil et à mi-corps, à la physionomie