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auspices des Grecs, notamment de Galien, à la nature. A peine sorti de l’adolescence (il était né vers 1482), il acquit une réputation européenne par ses recherches anatomiques; ses cours obtinrent le plus vif succès à Padoue d’abord, où il enseigna jusqu’en 1506, à Pavie ensuite. Son séjour dans cette dernière ville, se trouvant circonscrit entre les années 1506 et 1512, date de sa mort prématurée (Della Torre disparut à peine âgé de trente ans), c’est pendant le second séjour de Léonard à Milan qu’il faut placer les relations du peintre avec le savant anatomiste. Un des domaines des Melzi, à Vaverole (Vapri?), aurait servi de théâtre aux entretiens des deux amis. Écoutons à ce sujet Vasari : « Della Torre se servit beaucoup, dans ses œuvres, du génie, de la science et de la main de Léonard, qui de son côté fit un livre, dont les figures sont dessinées à la sanguine avec des hachures à la plume. Après les études de pure ostéologie vinrent celles des nerfs et des muscles, divisées en trois sections : la première pour la couche la plus profonde, la seconde pour la couche moyenne, la troisième enfin pour la couche superficielle. Chacune de ces figures est accompagnée de notes explicatives en caractères bizarres, tracés à rebours et de la main gauche, de façon que celui qui n’en a pas l’habitude n’en peut rien déchiffrer sans l’aide d’un miroir. »

Aucun des ouvrages de Della Torre ne semble avoir obtenu les honneurs de l’impression. Quant à ceux de Léonard sur la même matière, ils viennent d’être partiellement publiés par M. Richter. Ajoutons que Léonard fut en ces études le maître et nullement, l’élève de della Torre, comme on l’a universellement admis jusqu’ici. Un de ses recueils, le Libro titolato de figura umana, fut commencé, d’après le témoignage même de l’auteur, le 2 avril 1489, ainsi, à une époque où della Torre ne comptait que sept ans. Il semble que l’artiste continua ses recherches après son retour à Florence. Lorsque le cardinal d’Aragon lui rendit visite en 1516, Léonard se glorifia en effet d’avoir disséqué (haver facta notomia) plus de 30 cadavres, soit d’hommes, soit de femmes, de tout âge. L’Anonyme, publié par M. Milanesi, ajoute que ces expériences, il les avait entreprises dans l’hôpital de Sainte-Marie-Nouvelle, à Florence.

L’anatomie dont s’occupa Léonard était moins, a affirmé un homme du métier, la science des muscles, où triompha Michel-Ange, que l’observation des effets produits sur nos organes par les affections de l’âme ou les passions. Un juge autorisé, M. Mathias Duval, professeur à l’École de Médecine et à l’École des Beaux-Arts, en reproduisant un des dessins d’anatomie de Léonard, ajoute que ce dessin montre avec quel soin (peut-être trop scrupuleux) l’illustre maître s’était attaché à séparer, par la dissection, les