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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/157

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de l’être notre Chilpéric. Du reste, n’a-t-on pas dit des rois et reines de la Grande-Bretagne qu’ils peuvent tout, excepté changer en homme une femme?

A côté de ces théories absolutistes, on est tout étonné de retrouver dans les écrivains byzantins les vieux mots classiques de liberté, d’esclavage, de tyrannie. Ils continuent à parler le langage de Démosthène et de Cicéron. Les empereurs eux-mêmes ne font nulle difficulté d’en user. Justinien changeait le nom du Pontus Polemoniacus, parce que Polémon avait été « un tyran. » Après la reconquête de l’Afrique, il félicitait en ces termes ses nouveaux sujets : « Ils doivent savoir de quelle dure servitude ils ont été affranchis et de quelle liberté ils ont été dotés sous notre heureux empire. » — Mais qui ne voit que tous ces vocables ont changé de sens? La barbarie, avec sa liberté anarchique, voilà l’esclavage ; les institutions romaines, despotiques, mais nationales, voilà la liberté. Hors de la romanité, hors de l’empire, il n’y a que servitude et abjection. C’est ce que fait très bien entendre ce passage de Lydus : « Il est contraire à la liberté romaine d’avoir un maître : les Romains ne doivent obéir qu’à un Basileus. » — Michel II, marchant contre l’usurpateur Thomas, exhorte ses soldats « à être des hommes, à ne pas prostituer à un exécrable tyran leur liberté. » Théophile, quand il obligeait ses sujets à se raser la tête, se proposait de « restaurer chez les Romains la vertu de leurs ancêtres ; » c’est avec la sanction du fouet qu’il travaillait à réaliser cette libérale pensée, sans crainte de voir un Brutus sortir de ce retour à la coiffure républicaine.

Byzance continuait à avoir son sénat, ses consuls, ses curies. Léon VI fut le premier qui s’avisa d’en prononcer l’abolition ; mais ses trois Novelles n’amenèrent aucun changement dans la réalité, car il y avait longtemps que la révolution s’était opérée. Réforme grammaticale et non point politique. C’étaient des lois abrogées de fait, tombées en désuétude, « errant vainement autour du sol légal, » qu’il prenait la peine d’abroger. Désormais, nous apprennent ces Novelles, il n’y aura plus de sénat, de consuls, de curies, « car la majesté impériale s’étant arrogé les attributions sénatoriales, le sénat est devenu inutile; » il en est de même pour les consuls ; en un mot, « les choses civiles se sont transformées, et tout dépend désormais de la sollicitude et de l’administration de la majesté impériale. »

Voilà donc la théorie de l’absolutisme byzantin formulée en son extrême rigueur. Mais nous ne cessons de marcher de contradiction en contradiction. Après comme avant Léon VI, il y eut à Byzance un sénat : tout au plus si la Novelle 78 a eu pour effet de