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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/161

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vol commis par un haut fonctionnaire ; celui-ci fut à l’instant brûlé vif sur une des places de Byzance. On voyait, représentées en airain, les deux mains qu’il fit couper à un marchand qui avait usé de fausses mesures. On montrait un four où il fit jeter un boulanger qui trompait ses cliens. Un fonctionnaire qui, en élevant de plusieurs étages son palais, avait ôté l’air et le jour à la chaumière d’une vieille femme, fut fouetté, rasé, et sa maison donnée à la plaignante. Plus le châtiment était soudain, violent, disproportionné à la faute, plus il frappait l’imagination des masses et plus le justicier en devenait populaire. Il fallait aussi que le prince sût, à l’occasion, se condamner lui-même comme il condamnait les prévaricateurs. Un courtisan avait fait présent d’un magnifique cheval à Théophile; pendant une procession, une vieille femme s’avance hardiment, saisit le cheval par la bride et déclare qu’il lui a été volé. Le prince descend, restitue le coursier et continue la route à pied. Pour conserver la mémoire de ce trait qu’eût admiré le meunier de Sans-Souci, le cérémonial prescrivit que désormais le cheval monté par l’empereur serait toujours suivi d’une file de chevaux tout sellés : si le prince était encore forcé à restitution, il n’aurait plus le désagrément de se retrouver simple piéton. Six siècles après l’aventure, l’usage s’observait encore.

Le peuple avait son rôle dans toutes les cérémonies de la ville et de la cour. Il y était représenté par les quatre factions des Verts, des Bleus, des Rouges, des Blancs. Ces factions étaient des espèces de gardes nationales, chargées de faire la haie sur le passage de l’empereur, de l’acclamer et de chanter des hymnes, en s’accompagnant sur les orgues d’argent. Elles étaient armées de piques et de boucliers : l’ambassadeur italien Luitprand, que les mauvais traitemens reçus de Nicéphore Phocas mettaient de fort méchante humeur, nous dépeint ces miliciens sous les plus fâcheuses couleurs, vêtus de haillons galonnés, les pieds nus, les armes toutes rouillées. C’était tout ce qui restait de ces factions célèbres qui avaient agité l’Hippodrome et l’empire, livré bataille à Justinien. C’était cela qui représentait le peuple romain, mais dompté, domestiqué, réduit à un rôle de parade, ne poussant que des cris rythmés et réglés par les maîtres des cérémonies. Quelquefois aussi apparaissait un autre peuple, celui qui prit d’assaut le palais de Michel le Calfat et lapida ce prince dans la rue.

Après avoir défini l’empire une monarchie absolue et l’empereur un autocrate, il était bon d’indiquer les limites que les institutions, les mœurs, l’opinion et les faits apportaient au despotisme. C’était une monarchie absolue, mais tempérée par des chansons, comme dans la France de Mazarin, et aussi par le régicide, comme dans le Stamboul des sultans ou le Pétersbourg de Paul Ier.