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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/211

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instruits; » c’est un autre inconvénient auquel il faut parer. Il a répété à sa façon le mot de Virgile : Les prés ont assez bu. « Notre patrie, a-t-il dit, ressemble à un champ trop arrosé. On nous donne plus d’instruction que nous n’en pouvons supporter, et on donne à la Prusse plus d’hommes instruits que la nation n’en peut nourrir. » En ceci, du moins, il considère le bien des particuliers autant que celui de l’état. C’est un fléau assurément que « le prolétariat des bacheliers et les candidats de la faim. » On ne saurait trop combattre ce que Pascal appelait les respects d’établissement, les sottes ambitions, le culte superstitieux rendu aux professions libérales, le préjugé qui fait croire à un avocat sans talent, à un médecin sans clientèle, qu’ils sont de plus grands personnages qu’un épicier intelligent et qu’un bon laboureur.

L’empereur désapprouve formellement, et on ne saurait l’en blâmer, le système ou la chimère de l’instruction intégrale et universelle. Sa devise est : « Cuique suum ! à chacun ce qui lui revient et ce qui lui convient. « Il a trop de bon sens pour être de ceux qui désirent qu’on puisse devenir médecin ou avocat sans savoir le latin. Quoiqu’il ne voie pas très bien à quoi peut servir l’étude des langues mortes, il entend la conserver comme une barrière heureuse à l’entrée du chemin qui mène aux professions libérales, déjà trop encombrées. Les collèges classiques donneront seuls accès aux universités, aux cours des facultés de philosophie, de droit et de médecine. D’autre part, pour diminuer la population flottante des gymnases, pour en éloigner les jeunes gens qui ne passent jamais l’examen final et dont le seul but est d’être admis au volontariat d’un an, il demande « qu’on place un examen à l’entrée du volontariat et qu’on exige de ceux qui fréquentent les Realschulen le certificat de sortie de ces établissemens. » On verra alors la foule des aspirans refluer des gymnases dans les écoles professionnelles, où ils trouveront ce qu’ils cherchent.

A l’égard des gymnases réels où l’on enseigne « ce petit bout de latin qui orne tout l’homme, » Guillaume II les supprimerait volontiers. Il en est pourtant de fort prospères et où l’étude des langues modernes est poussée très loin. Dernièrement, les élèves du Realgymnasium de Stettin, dont le directeur est un homme de grand mérite, ont joué le Malade imaginaire, aux vifs applaudissemens d’un nombreux public accouru pour les entendre; Toinette surtout a remporté tous les suffrages. Si Guillaume II avait honoré cette représentation de sa présence, il n’aurait pas applaudi Toinette, il aurait froncé le sourcil; de jeunes Allemands ont un meilleur emploi à faire de leur temps que de réciter et de jouer du Molière. Mais ce qui lui déplaît surtout dans les institutions mitoyennes, qui ne sont ni de vrais gymnases, ni de vraies