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écoles, c’est qu’on y donne « une éducation bâtarde, dont la mauvaise influence se fait sentir pendant toute la vie. »

Si l’utopie de l’enseignement intégral lui est odieuse, il a aussi la sienne. Il n’admet pas que l’aristocratie intellectuelle d’une nation se recrute, du haut en bas de la société, parmi l’élite des jeunes gens de toute condition. Par haine de la démocratie, il veut introduire ou maintenir dans l’instruction publique des séparations de classes, un esprit de caste. Les nobles et les officiers doivent être élevés dans les écoles de cadets ; il faut réserver les gymnases classiques à la haute bourgeoisie et aux futurs fonctionnaires, et les petits bourgeois doivent envoyer leurs enfans dans les écoles professionnelles. Ainsi chaque jeune Prussien saura dès sa naissance à quel genre d’éducation il a droit, sans qu’il vienne à personne l’idée de s’élever au-dessus de ses pères. Un fils d’épicier qui apprend le latin devient fatalement un déclassé, et par une fatalité tout aussi rigoureuse, les déclassés se font journalistes et passent leur vie à censurer les actes du gouvernement, à discuter à tort et à travers les affaires publiques.

Dans ces trois genres d’écoles, les études seront tout à fait différentes, à cela près qu’on y enseignera, sinon le même catéchisme, du moins les mêmes principes de morale religieuse. Guillaume II a rappelé à la commission consultative qu’il est le summus episcopus de son église, et il a déclaré qu’il veillerait à ce que l’école fût pénétrée de l’esprit chrétien. » Au surplus, quelles que soient les règles particulières de ces divers établissemens, l’instruction y sera subordonnée à l’éducation ou, pour mieux dire, au dressage, qui est un art tout prussien.

Henri Heine a parlé quelque part de ces compagnons ouvriers, qui, sans le sou dans leur poche, parcouraient l’Allemagne en tous sens. D’ordinaire, ils étaient trois dans leurs pèlerinages. L’un, grand raisonneur, avait la fureur de discuter ; il avait une remarque à faire sur chaque oiseau qui s’envolait devant lui, sur chaque cavalier qui traversait le chemin, et quand il arrivait dans un vilain pays, il disait ironiquement : « Le bon Dieu a fait le monde en six jours, et il y paraît, car il reste encore beaucoup à faire. « Le second était toujours en colère ; jurant comme un païen, il maudissait tous les patrons chez qui il avait travaillé, et il se repentait de n’avoir pas administré et laissé en souvenir une volée de coups de bâton à l’hôtesse d’Halberstadt, qui lui apportait journellement sa choucroute. Le troisième, qui était le plus jeune et faisait sa première tournée dans le monde, pensait toujours à deux beaux yeux couleur de pervenche, et la tête basse, il se plongeait dans de longues méditations, marchait pendant des heures sans dire un mot. Le premier de ces compagnons représentait l’Allemagne