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raisonneuse et philosophante, le second celle qui se fâche, le dernier celle qui rêve.

Voilà trois variétés d’Allemands dont aucune n’agrée à Guillaume II. Il goûte aussi peu le philosophe qui discute tout, même Dieu, que le mécontent qui jure, et que le rêveur, qui ne sera jamais un bon soldat. Il espère que, grâce aux nouvelles instructions qu’il fera donner à ses professeurs de gymnases et à ses maîtres d’école, il verra se multiplier la graine de ce qu’on peut appeler le bon jeune homme allemand, flexible, souple, docile, respectueux, rompu à la discipline, instruit de tous ses devoirs, exact à les remplir, toujours content de son sort et de son empereur. Comme le disait M. Lavisse, ce n’est pas pour eux qu’il veut élever les jeunes Prussiens, c’est surtout pour lui. Sa réforme de l’enseignement, s’il réussit à l’exécuter, restera comme un chef-d’œuvre d’utilitarisme politique.

Les hommes du métier qui faisaient partie de la commission consultative ont éprouvé, paraît-il, une sorte de saisissement en entendant le premier discours de Guillaume II. Ils étaient aussi émus que ces paysans du XVIe siècle qui, s’étant assemblés, selon l’ancienne coutume, pour danser sur la place du Vieux-Marché de Laybach, près d’une fontaine ombragée par un beau tilleul, virent tout à coup paraître un jeune homme bien taillé et bien vêtu, lequel les salua et présenta à chacun sa main, qui était froide comme la glace. Ce jeune homme imposant était un esprit des eaux, et les ondins ont en eux quelque chose qui fait frissonner les professeurs comme les paysans. Mais enfin, la commission s’est exécutée. On a résolu d’alléger les programmes, d’éliminer la composition latine, de simplifier les examens, de supprimer, s’il est possible, les écoles professionnelles où on lit Cornélius Nepos; on a décidé surtout que la première chose qui serait enseignée aux plus jeunes élèves des gymnases serait l’histoire contemporaine. En congédiant l’assemblée, l’empereur a déclaré qu’il était content d’elle. « Jusqu’à ce jour, a-t-il dit, nos jeunes gens allaient des Thermopyles à Vionville, en passant par Rosbach ; moi, je veux que, désormais, ils partent de Sedan et de Gravelotte pour arriver à Mantinée. » Quand le bon jeune homme allemand aura sucé avec le fait toutes les saines doctrines, l’orgueil de sa race et tous les nobles mépris, il pourra étudier sans danger l’histoire grecque. Il ne risquera pas de se méprendre, de laisser s’égarer ses admirations, de surfaire un Épaminondas qui n’a jamais commandé à plus de soixante mille hommes, et qui mettait sa gloire à être un bon pythagoricien et le serviteur très modeste d’une petite république.


G. VALBERT.