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étaient les premiers à déclarer que le moment était venu d’en finir avec les questions irritantes, de mettre la stabilité et la prévoyance dans le gouvernement, de songer aux affaires de la France, — et d’être sages !

On n’a qu’à interroger leurs programmes, dont M. Barodet s’est fait l’historiographe : ils sont instructifs, ils respirent la modération! Malheureusement, avec le péril, la sagesse de circonstance a disparu ou à peu près, et on n’a pas tardé à avoir de nouveau ce spectacle de partis, effrayés la veille, revenant le lendemain à leurs passions les plus jalouses, à leurs préjugés les plus exclusifs, à leurs tactiques les plus stériles. Qu’est-ce que cette année qui s’achève aujourd’hui? Elle se résume tout entière dans cette situation nouvelle où, en définitive, faute d’un sentiment supérieur des choses et d’un peu de résolution, on se débat sans réussir à retrouver une politique, une majorité, une direction fixe et assurée. Ce n’est pas que les républicains, ou du moins une partie des républicains, n’aient gardé des dernières crises un goût vague de l’ordre, de la paix morale et surtout de la stabilité ministérielle : c’est même la seule chose qu’ils aient gardée! Seulement, ils comprennent la paix et l’ordre à leur façon. Ils subissent l’influence des radicaux, qu’ils craignent et dont ils n’osent se séparer. Ils se sentent particulièrement liés par la passion antireligieuse, et, après avoir désavoué les persécutions aux élections, ils en sont venus, de peur de se brouiller avec le radicalisme, à prétendre imprimer le sceau de l’inviolabilité constitutionnelle à des lois qui n’ont été et ne sont encore que des lois de guerre. C’est ce qu’ils appellent la paix ! Ils font aussi de leur mieux, sans doute, pour ne pas ébranler le ministère, — à condition pourtant de ne lui laisser ni l’autorité morale, ni la liberté sans lesquelles il n’y a que des pouvoirs sans force et sans durée. Le ministère, pour sa part, ne demanderait peut-être pas mieux quelquefois que de secouer cette tutelle, et même de se montrer modéré, — d’autant plus qu’il sait bien que la modération serait aujourd’hui plus que jamais la plus habile des politiques; mais il se sent à la merci d’un vote de hasard, et il craindrait de jouer son crédit en parlant avec quelque fermeté le langage de la raison, dès qu’il s’agit d’imposer une laïcisation, fût-ce par les gendarmes. Il est réduit à acheter chaque jour de son existence par des concessions. Le sceptique et habile ministre de l’intérieur, M. Constans lui-même, ne se risquerait pas dans une affaire de laïcisation; il hausserait peut-être les épaules et ne soutiendrait pas moins ses fonctionnaires allant à l’assaut d’une école !

Le résultat est qu’avec tout cela, quinze mois après les élections, on n’est pas plus avancé, qu’il n’y a ni la stabilité réelle du gouvernement, ni la fixité d’une majorité de bien public, ni la liberté nécessaire pour s’occuper sérieusement et efficacement des affaires du pays. On