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se traîne dans une situation pour ainsi dire nouée. On vit comme on a vécu depuis un an, en faisant le moins possible, en évitant les questions difficiles, en se donnant tout au plus le passe-temps de voter des lois socialistes qui seraient la ruine de l’industrie si elles devenaient définitives. Le plus clair de la besogne législative de l’année, au demeurant, est encore le budget, que la chambre des députés a mis cinquante jours à discuter et que le sénat a été obligé d’expédier en quelques heures; c’est cette loi des finances où M. le ministre Rouvier n’a réussi à introduire sa réforme de l’unification budgétaire qu’en se prêtant à toute sorte de fantaisies, et où M. Brisson, au dernier moment, a fait entrer l’esprit de secte sous cette triste figure d’une fiscalité abusive à l’égard des congrégations religieuses.

Il y a ici deux points. C’est d’abord, on en conviendra, un fait extraordinaire que, par un calcul obstiné, le budget de la France, qui devrait être l’œuvre des deux chambres, reste huit mois dans l’une des assemblées, et doive être voté en trois jours par l’autre assemblée, par celle qui réunit le plus de lumières et d’expérience. C’est une des formes les plus sensibles, les plus périlleuses, de cette altération incessante de toutes les garanties parlementaires qui fait du régime lui-même une fiction. Que le budget, malgré tout, soit toujours soumis à une étude attentive au Luxembourg ; que le dernier budget en particulier ait été l’objet d’une savante et lumineuse controverse entre des hommes comme M. Blavier, M. Buffet, M. Lacombe et M. le rapporteur-général Boulanger, oui, sans doute. Il n’est pas moins vrai que tous les ans les finances de la France ne peuvent être examinées que sommairement, au pas de course, par le sénat, et c’est une garantie perdue pour le pays. — C’est la chambre qui par ses retards rend impossible, au moins très difficile, tout contrôle sérieux; c’est le sénat qui est accusé de susciter des conflits, s’il prend un jour de plus pour remplir ses devoirs.

On en est toujours là, rien n’est changé sur ce point comme sur bien d’autres; mais à part l’importance des questions qui se rattachent à la loi des finances, ce qu’il y a de particulier cette fois, c’est cette taxe sur les congrégations qui imprime au budget comme un caractère nouveau, qui pèse encore sur les esprits. M. le rapporteur Boulanger souffre d’entendre appeler ces taxes, — interprétées et appliquées comme elles le sont, — des confiscations. C’est cependant un fait: la confiscation est démontrée, avérée, constatée. Et quelles sont les victimes de ces excès de fiscalité? Ce sont les communautés les plus utiles, les plus secourables. On crée des fantasmagories de millions possédés par les ordres religieux. La vérité est que tous ces religieux et ces religieuses, les sœurs de Saint-Vincent de Paul, les filles de la Charité, les Maristes, les Lazaristes n’ont rien par eux-mêmes, que ces millions