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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/236

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comme dans le Danemark du temps du jeune Hamlet. L’empereur Guillaume II, à ce qu’on assure, aurait dit récemment à M. le professeur Dessausen, qui venait d’accoucher l’impératrice, que cette année 1890 lui avait été heureuse, qu’elle lui avait donné un prince de plus, le sixième, et un nouveau territoire allemand, l’île d’Héligoland. Qu’un Hohenzollern de plus vienne au monde, qu’un rocher de la mer du Nord inutile à l’Angleterre ait été cédé par la reine Victoria à son petit-fils, ce sont là sans doute des événemens qui ont leur importance. On ne peut cependant pas oublier qu’il y a eu depuis quelque temps en Allemagne d’autres vicissitudes de la fortune, que cette année qui finit reste précisément l’année de l’éclipse, ou pour dire plus vrai, de la déposition de M. de Bismarck. Qui aurait dit encore au 1er janvier 1890 que le premier chancelier de l’empire allemand reconstitué, le ministre qui depuis vingt-cinq ans remuait l’Allemagne à son gré, tenait l’Europe en suspens, occupait le monde de sa personne et de ses boutades, que ce prépotent sacré par le succès disparaîtrait autrement que par la mort ? Il a disparu cependant par une disgrâce éclatante, sous le regard impérieux du jeune homme couronné qui peu auparavant le désignait comme le porte-étendard de l’Allemagne. Il a si bien disparu que quelques mois à peine après sa chute il est presque oublié. De temps à autre encore il s’agite, il essaie de faire parler de lui. Il a son journal de Hambourg, à qui il confie ses griefs, ses censures acerbes de tout ce qui s’est fait après lui : on sent qu’il n’est plus rien, et même qu’il s’amoindrit par son humeur morose, qu’il s’amoindrirait encore plus en reparaissant. Il comptera sans doute dans l’histoire, il ne compte plus dans le présent. Il est bien clair que son omnipotence était de trop, que Guillaume II a voulu de propos délibéré s’émanciper. C’est la moralité de l’événement de l’année, et l’impatient souverain s’est effectivement émancipé; il s’est hâté de s’emparer de la scène, au risque de prodiguer un peu trop les monologues et de créer une situation qui n’est peut-être plus à l’heure qu’il est aussi facile qu’on le croirait.

Le fait est que la situation est assez nouvelle et commence à devenir singulière, que le jeune empereur, sans trop tenir compte des difficultés pratiques de son gouvernement, continue ses expériences, ses prouesses de parole. Il ne veut être ni éclipsé, ni devancé! Il n’y a que quelques semaines, il ouvrait à Berlin une sorte de conférence scolaire par un discours d’une vivacité originale et impétueuse sur la réforme des méthodes, de l’esprit même de l’enseignement; ces jours derniers, il a clos les travaux de la conférence par un discours nouveau où il accentue encore plus ses hardiesses, en donnant libre carrière à son imagination. Ce jeune prince qu’on ne croyait pas si savant a trouvé la formule de la réforme scolaire. Il ne veut plus de la routine qui